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dossier co-formulants et adjuvants

Tous les médicaments ou les produits phyto pharmaceutiques (PPP) contiennent une ou plusieurs substances actives (SA) essentielles pour l’action contre les organismes nocifs en mélange avec d’autres éléments, appelés co-formulants, ajoutés pour une meilleure efficacité. Ils en assurent aussi la stabilité et le bon fonctionnement, mais on peut raisonnablement se demander s’ils n’ont qu’une action facilitante ou s’ils ne sont pas eux-mêmes effecteurs -pour le meilleur comme pour le pire ! Une des différences entre les médicaments et les PPP – qui seront le seul objet de cet article- est que l’affichage de la formulation complète est obligatoire pour les médicaments alors que le secret industriel dispense ceux-ci de cette « formalité ».
En outre il subsiste une frontière floue entre les co-formulants et les adjuvants  ainsi que nous tenterons de le développer en 3è partie.

LES AUTRES SUBSTANCES DES PESTICIDES

Lorsque l’on recherche des informations sur ces autres substances, les sites de l’ANSES et de l’EFSA [European Food Safety Authority] et les notices des pesticides, sont peu explicites. Nous avons donc conduit un travail documentaire pour y voir plus clair.

La substance active (SA) est habituellement formulée avec d’autres substances avant de constituer le produit commercialisé. Cette formulation est une opération industrielle consistant à fabriquer un matériau homogène et stable, selon un cahier des charges précis. Elle donne à la préparation une forme appropriée à son application (c’est ce que l’on appelle la forme galénique pour les médicaments) : concentré soluble, granulé, etc. Ainsi, l’ANSES nous dit : « Les produits phytopharmaceutiques (PPP) sont des préparations composées d’une ou plusieurs substances actives, responsables des propriétés du produit phytopharmaceutique et de substances appelées co-formulants[1], donnant à la préparation une forme appropriée à son application. ».[2]

Mais de quelles propriétés s’agit-il ? Quid des effets toxiques ? Qu’en est-il aussi des adjuvants ?

LES CO-FORMULANTS

L’étude de la toxicité des substances se base essentiellement sur des essais réglementaires fournis par les industriels, complétés d’une revue de la littérature internationale, bien souvent absente ou incomplète. Ces essais doivent évaluer le caractère cancérigène, mutagène, reprotoxique mais aussi la possibilité d’induire une perturbation endocrinienne. Cependant certaines données ne sont pas exigées, telles que les études portant sur le neuro-développement sur des animaux exposés pendant la gestation, sur plusieurs générations ; de même que les études de toxicité à long terme sur les formulations complètes des PPP.

 

EXEMPLES de CO-FORMULATION
Les tests de tolérance sont essentiellement réalisés sur des SA isolées ; or la co-formulation est susceptible de potentialiser de façon considérable les effets de chaque substance : par ex le glyphosate seul ne présente pas un vrai danger [3] mais la liste des produits commercialisés contenant du glyphosate[4] démontre bien que les mélanges ont une importance notable.

Par ailleurs, si l’on compare l’effet isolé de la génistéine, (phyto-oestrogène) et de la vinclozoline, (fongicide à activité antiandrogénique sur la fonction de reproduction du ratWistar mâle) on constate qu’ 1 mg/kg/ j de chacune de ces SA n’engendre aucune modification du nombre de spermatozoïdes par comparaison avec les rats témoins. Par contre 1mg/kg/j de l’association de ces deux molécules engendre une conséquence (env. -40% de spermatozoïdes) aussi délétère que 30 mg/kg/j de vinclozine seule ! Dans cet exemple donc, 1+1= 30. Alors qu’une synergie se « contenterait » d’accélérer l’effet délétère, éventuel, recensé de chaque molécule prise individuellement.

Encore plus marqué :  selon l’étude de Robin Mesnage[5], une analyse conduite respectivement sur chacun des principes actifs de 3 herbicides majeurs, 3 insecticides et 3 fongicides en mélange contenant en partie : glyphosate, isoproturon, fluroxypyr, pirimicarbe, imidaclopride, acétamipride, tébuconazole, époxiconazole et prochloraze a révélé que 8 formulations sur 9 étaient jusqu’à mille fois plus toxiques que leurs SA isolées sur les activités mitochondriales, les dégradations membranaires et les activités des caspases (rôle sur la mort cellulaire et l’inflammation.)

EN PRATIQUE
De manière réglementaire, les co-formulants ne peuvent être acceptés dans un PPP si leurs résidus (les métabolites)[6] résultant d’une application conforme aux bonnes pratiques phytosanitaires dans des conditions réalistes d’utilisation ont un effet nocif sur la santé humaine ou animale ou les eaux souterraines, ou un effet inacceptable sur les végétaux, les produits végétaux ou l’environnement.

Utilisés conjointement avec les substances actives dans les PPP [7], ils sont en effet diffusés de la même manière dans l’environnement[8]

Les co-formulants présentant certaines propriétés ne sont pas autorisés dans les produits PPP. Citons par exemple :[9]

  • les coformulant dont les résidus ont un effet nocif sur la santé humaine ou animale ou sur les eaux souterraines ou un effet inacceptable sur l’environnement ;
  • les co-formulants classés
    • comme cancérigènes, catégorie 1A (Substances dont le potentiel cancérigène pour l’être humain est avéré.) ou 1B (Substances dont le potentiel cancérogène pour l’être humain est supposé.),
    • comme mutagènes, catégorie 1A (Substances dont la capacité d’induire des mutations héréditaires dans les cellules germinales des êtres humains est avérée ou 1B (Substances dont la capacité d’induire des mutations héréditaires dans les cellules germinales des êtres humains est supposée.),
    • ou comme toxiques pour la reproduction, catégorie 1A (Substances dont la toxicité pour la reproduction humaine est avérée.) ou 1B (Substances présumées toxiques pour la reproduction humaine.) ;
  • les co-formulants identifiées comme persistants, bio-accumulables et toxiques (« PBT ») ou très persistants et très bio-accumulables (« vPvB »)
  • les co-formulants identifiés comme substances « extrêmement préoccupantes » du fait de leurs propriétés de perturbateurs endocriniens.

A noter que la liste « négative » de l’UE contraste avec celle des États-Unis, où une liste « positive » des co-formulants autorisés (dits « ingrédients inertes ») est utilisée.[10]

Le règlement (UE) 2021/383[11] liste ainsi les co-formulants ne pouvant pas entrer dans la composition des produits phytopharmaceutiques et des adjuvants. Les Etats-membres doivent alors réexaminer la composition des produits actuellement autorisés et retirer ou modifier le plus rapidement possible les autorisations des produits phytopharmaceutiques ou adjuvants contenant ces co-formulants et au plus tard le 24 mars 2023. Des délais de grâce sont fixés à 3 mois maximum pour la vente et la distribution et 9 mois supplémentaires pour l’élimination, le stockage et l’utilisation à compter de la date de modification ou de retrait de l’autorisation

Certains peuvent cependant être présents en tant qu’impuretés non intentionnelles dans d’autres co-formulants autorisés ; leur concentration ne devant pas dépasser 0,1% en rapport de masse dans le produit phytopharmaceutique ou adjuvant fini. Pour un co-formulant (Benzo[def]chrysène, n° CAS 50-32-8, n° CE 200-028-5), cette limite est abaissée à 0.01 % en rapport de masse dans le produit fini (limite de concentration spécifique liée aux propriétés CMR).[12]
Cependant, on retrouve dans les eaux de captage de certaines régions des Etats-Unis des taux problématiques de PFAS[13] dans les zones où l’utilisation d’insecticides[14] à grande échelle est avérée alors que ce produit n’est pas déclaré comme co-formulant : on peut « raisonnablement »  se demander si ceux-ci ne sont pas ajoutés de façon volontaire au lieu d’être considérés comme une contamination accidentelle[15] 

  

LES ADJUVANTS

Il s’agit de préparation dépourvue d’activité PPP telle que définie par le règlement européen 1107/2009 (article 58)[16]mais que l’on ajoute en mélange extemporané aux traitements phytosanitaires afin de renforcer leurs propriétés physiques, chimiques et biologiques. Ils n’ont pas d’action directe : ils n’ont qu’un rôle de facilitateur mais pas d’action propre : isolés ils n’auront aucun effet « Un adjuvant est une préparation que l’on ajoute aux produits phytopharmaceutiques afin de renforcer leur efficacité ou d’autres propriétés pesticides. L’adjuvant est dépourvu d’activité phytopharmaceutique. » [17]
Décrits de cette manière, les co-formulants de PPP ne sont pas compris dans cette définition. Mais une même substance peut être classée co-formulant (ex POEA polyoxyéthylène amine) ET adjuvant ; même interdit comme co-formulant, il est vendu comme adjuvant comme dans le Roundup ou le Dicamba [18]!

UNE RÈGLEMENTATION EUROPÉENNE NON UNIFORMISÉE

La mise en marché des adjuvants est réglementée en Europe mais n’est pas uniformisée au niveau européen.

En France, les adjuvants doivent obtenir une Autorisation de Mise en Marché[19][20], homologation attribuée par l’ANSES, sur la base d’essais démontrant le mode d’action de l’adjuvant sur au moins l’une des 7 fonctions prédéfinies et un des 4 usages prédéfinis (herbicides, fongicides, insecticides et régulateurs de croissance).

ACTION DES ADJUVANTS

Pour être homologué en France, un adjuvant doit démontrer son ACTION sur l’une des 7 fonctions définies :

  1. Amélioration de la qualité de bouillie[21] (compatibilisant, stabilisant, antimoussant lors de la préparation modification de pH) : stabilise et maintient les propriétés physiques des matières actives lors de la préparation de la bouillie. Homogénéisation de la taille des gouttelettes
  2. Amélioration de la qualité de pulvérisation : régularisation ou augmentation de l’angle de la lame de pulvérisation ou limitation de la dérive.
  3. Augmentation de la rétention : augmentation de la quantité de bouillie retenue par le végétal juste après la pulvérisation. La couche externe de la cuticule peut être recouverte de cires cristallines ou de poils qui augmentent avec l’âge des plantes et limitent la rétention et l’étalement des gouttes
  4. Augmentation de l’étalement : augmentation de la surface de contact entre le produit et la plante
  5. Maintien des propriétés de la préparation (humectation, résistance aux UV) : stabilise et maintient les propriétés physiques ou chimiques des matières actives sur le végétal en limitant l’évaporation et la cristallisation de la SA
  6. Réduction du lessivage : Quantité de bouillie restant sur la plante après la pluie
  7. Amélioration de la pénétration : Amélioration de la rapidité ou de la quantité de matière active au travers de la cuticule des feuilles et de la cire qui les compose

LES DIFFÉRENTES FAMILLES D’ADJUVANTS

  1. Les mouillants pour une meilleure couverture du feuillage (composés tensio-actifs),
  2. Les huiles pour la pénétration des bouillies (huiles minérales ou végétales),
  3. Les sels pour éviter le dessèchement des gouttes (le plus souvent solution aqueuse de sulfate d’ammonium).

L’ajout d’adjuvant, terme consacré, dispense le formulateur d’une étude de synergie (résultat de deux ou plusieurs agents chimiques ou physiques), mais dans l’idée on recherche bien celle-ci sinon cela n’a pas d’intérêt, par exemple, le glyphosate sans un surfactant est quasi inefficace mais le surfactant n’est pas administrativement parlant une SA.
La présentation en nano particules confère des propriétés exceptionnelles à la substance active mais, administrativement parlant, ce n’est pas une SA donc on se dispense d’AMM.

L’analyse de l’utilisation d’adjuvants n’est pas chose aisée dans la mesure où les références disponibles sont très diverses et difficilement vérifiables ou reproductibles car elles dépendent surtout des conditions d’application. Selon les produits et les auteurs, leur concentration peut aller de 0,05%   à 0,3%, ce qui est une fourchette très large.

LES ADJUVANTS EN AGRICULTURE BIOLOGIQUE
La France n’autorise en Agriculture Biologique que les adjuvants à base de substances naturelles suivantes :
• Lécithine
• Huiles végétales
• Huiles de paraffine
• Terpènes de pin
• Savon mou/savon noir

EN CONCLUSION

Malgré le silence ou les imprécisions des agences et des fabricants des PPP, il est donc bien nécessaire de tenir compte des co-formulants et adjuvants dans l’évaluation des effets toxiques ou perturbateurs endocriniens des pesticides et d’étudier comment s’en protéger.

[1] Les co-formulants sont décrits à l’article 2, paragraphe 3, point c), du règlement (CE) n° 1107/2009 comme étant les substances ou préparations qui sont utilisées ou destinées à être utilisées dans un produit phytopharmaceutique ou un adjuvant, mais qui ne sont ni des substances actives ni des phytoprotecteurs ou synergistes.

[2] https://www.anses.fr/fr/content/%C3%A9valuation-des-substances-actives-entrant-dans-la-composition-des-produits

[3] https://www.bayer.fr/fr/glyphosate-innocuite-sante-humaine

[4] https://ephy.anses.fr/substance/glyphosate

 

[5] https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/24719846/

[6] Article « dossier métabolites » en cours de réalisation sur le site

[7] https://www.r4p-inra.fr/fr/caracteristiques-des-ppp/

 

[8] https://aida.ineris.fr/reglementation/reglement-ue-ndeg-2021383-030321-modifiant-lannexe-iii-reglement-ndeg-11072009

 

[9] [9] https://www.staphyt.com/regulatory/fr/2021/06/23/co-formulants-regl-ce-n-1107-2009-la-liste-negative/

[11] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32021R0383&from=FR

 

[12] https://lynxee.consulting/europe-com-publication-de-la-liste-de-co-formulants-interdits-dans-les-ppp/

 

[13] https://alerte-medecins-pesticides.fr/ressources/dossier-polluants-eternels/

https://www.anses.fr/fr/content/pfas-des-substances-chimiques-dans-le-collimateur

 

[14] https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S266691102200020X?via%3Dihub

 

[15] https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/10/05/le-gouvernement-prie-d-inclure-les-formulants-dans-l-evaluation-des-risques-des-pesticides_6144439_3244.html

 

[16] https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2009:309:0001:0050:FR:PDF

 

[17] https://ephy.anses.fr/produits-substances-usages/adjuvants

[18] https://frwiki.fr/Lexique/Polyoxyéthylène_amine

 

[19] https://aida.ineris.fr/reglementation/reglement-ndeg-11072009-211009-concernant-mise-marche-produits-phytopharmaceutiques

 

[20] https://draaf.nouvelle-aquitaine.agriculture.gouv.fr/nouveau-site-e-phy-le-catalogue-des-produits-phytosanitaires-et-de-leurs-usages-a210.html

[21] https://aude.chambre-agriculture.fr/agroenvironnement/eau/gestion-qualitative/aire-de-remplissage-et-preparer-sa-bouillie/