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dossier SDHI

Dans cet article nous développerons 2 parties autour de cette classe particulière de fongicides. Il pourra exister quelques redondances, mais l’écriture de deux articles n’a pas été réalisée en même temps et le regard porté n’est pas le même.

  1. un aspect scientifique 
  2. une  histoire de la saga autour  des SDHI

 1)   Les fongicides SDHI

Fongicides SDHI : conflit entre science académique et réglementaire sur l’application du         principe de précaution

Docteur Eric DUPONT

Depuis 2017 – 2018 une controverse sur l’application du principe de précaution aux fongicides Inhibiteurs de la Succinyl DésHydrogénase (SDHI) est ouverte suite à l’alerte cliquer —> (1) lancée par deux scientifiques, Pierre RUSTIN et Paule BENIT, spécialistes des déficits en SDH chez les humains, déficits à l’origine de pathologies congénitales graves et dans certains cas létales.

I –  PRESENTATION DE LA SDH ET DE SON ROLE PHYSIOLOGIQUE  cliquer —> (2)
Le cycle de Krebs a une place centrale dans le métabolisme énergétique de toute cellule vivante aérobie animale, végétale, fongique, bactérienne. Il permet le fonctionnement cellulaire à partir de l’énergie libérée par l’oxydation des sucres dans les organites cellulaires que sont les mitochondries.

Les mitochondries sont présentes dans toute cellule vivante pour la production de l’énergie cellulaire. La Succinyl DésHydrogénase (SDH) est un enzyme clef de ce cycle métabolique réalisé dans le complexe II de la chaine respiratoire de la paroi mitochondriale interne cliquer —> [3]. On constate en outre une très grande conservation inter-espèces de la structure du complexe respiratoire.

Parmi les fonctions du cycle de Krebs il faut citer :

  • l’apport à la chaine respiratoire mitochondriale des substrats permettant la synthèse d’ATP (Adénosine Tri Phosphate) nécessaire pour la fourniture d’énergie pour les réactions chimiques cellulaires
  • la production d’intermédiaires métaboliques essentiels pour diverses réactions anaboliques extra-mitochondriales, et pour la biosynthèse des purines (composants des acides nucléiques ADN et ARN) et de divers acides aminés (composants de base des protéines)
  • enfin la production de métabolites impliqués dans le marquage épigénétique

Les dysfonctions de la chaine respiratoire sont à l’origine d’acidose métabolique et de stress oxydatif voire de mort cellulaire. Jusqu’aux années 1990 il était considéré que les dysfonctions du cycle de Krebs liées à des mutations des gènes codants pour les enzymes du cycle étaient a priori incompatibles avec la vie. La découverte de mutations du gène de la fumarase puis du gène de la Succinyl-DésHydrogénase dans des cas d’encéphalopathies sévères de l’enfant a ouvert l’étude d’un domaine pathologique d’origine génétique vaste et complexe comportant des atteintes neurologiques (encéphalopathies de l’enfant, neuropathies) et musculaires (myopathies et cardiomyopathies) mais également rénales et hépatiques et par ailleurs une prédisposition à des atteintes tumorales bénignes et malignes (phéochromocytomes, cancers du rein, cancers digestifs, cancers du sein, tumeurs cérébrales, hémopathies… )

Dés lors les questions soulevées par des scientifiques sur le recours massif aux Inhibiteurs de la SDH comme fongicides en agriculture concernent :

  • le risque de favoriser des maladies neuro-dégénératives et des cancers de par l’exposition essentiellement par voie alimentaire de la population aux SDHI utilisés comme fongicides polyvalents, ou par aggravation par l’exposition chimique aux SDHI d’un dysfonctionnement latent d’origine notamment génétique
  • le risque de modifications de l’environnement du fait de l’action des fongicides SDHI sur le métabolisme cellulaire de toutes sortes d’espèces non cibles (nématodes, lombrics, abeilles…) avec pour effet une perte de biodiversité, un appauvrissement dela matière organique dans les sols, l’atteinte des pollinisateurs…
  • la question d’un effet Perturbateur Endocrinien des SDHI, non actuellement affirmé mais qui existe chez le poisson zèbre, et qui s’il était affirmé entrainerait un retrait d’autorisation du fait de la possibilité d’effets perturbateurs à de très faibles concentrations.

II – INACTIVATION DE LA SDH ET CANCEROGENESE cliquer —>[4 ]
En 2000 le rôle de mutations du gène SDH dans la survenue de formes héréditaires de tumeurs, notamment phéochromocytomes, a été identifié, démontrant qu’un défaut métabolique pouvait être à l’origine d’un cancer.

Les phéochromocytomes, tumeurs le plus souvent bénignes mais à évolution maligne dans 15 à 20 % des cas, qui se développent à partir de la médullo-surrénale,  se caractérisent par un déterminisme génétique dans 80 % des cas, la capacité à produire des catécholamines en excès, enfin la possibilité plus rare d’association à d’autres atteintes tumorales (tumeurs gastro-intestinales, carcinomes rénaux, tumeurs thyroïdiennes, adénomes hypophysaires, tumeurs neuro-endocrines pancréatiques, neuroblastomes).

III – QUELQUES ETUDES TOXICOLOGIQUES SUR LES EFFETS NEFASTES DES SDHI SUR DES ORGANISMES NON FONGIQUES
Rapidement après l’alerte du 29 mars 2018 sur le site BioRxiv.org cliquer —> [5] puis dans une tribune publiée le 15 avril 2018 dans le journal Libération, des études universitaires ont mis en évidence des effets des SDHI sur les cellules humaines, sur les abeilles, les vers de terre, ceci prouvant l’absence de spécificité des SDHI sur les champignons et le fait qu’ils peuvent affecter l’ensemble du vivant. Le groupe des lanceurs d’alerte publiait dans PLoS ONE du 7 novembre 2019 cliquer —>[6] que les SDH humains, des abeilles, des vers de terre et des champignons sont tous sensibles à huit SDHI. On constatait en outre que l’apport de glucose ad libitum dans le milieu de culture cellulaire dans les expérimentations in vitro permettait la croissance de cellules déficientes au niveau de la Chaine Respiratoire, masquant ainsi complètement l’effet délétère des SDHI.

Nous reprenons ici des études citées en 2022 par l’association Pollinis dans un argumentaire devant le parlement européen pour obtenir une reévaluation et un moratoire des fongicides SDHI.

  1. d’HOSE a montré en 2021 cliquer —>[7] que l’exposition de lignées cellulaires humaines aux fongicides SDHI boscalide et bixafen induit un dysfonctionnement mitochondrial, une diminution significative du taux de consommation d’oxygène, une augmentation du nombre de cellules apoptotiques précoces.
  2. YANICOSTAS et N. SOUSSI-YANICOSTAS (2021) cliquer —>[8] ont réalisé une revue de la toxicité de neuf fongicides SDHI sur le poisson zèbre. Ces SDHI causent de multiples effets secondaires chez les embryons, larves/juvéniles et adultes, comportant anomalies cardio-vasculaires, dommages hépatiques et rénaux, stress oxydatif, déficits énergétiques et modifications métaboliques, microcéphalie, défaut de croissance axonale, apoptose, suggérant un rôle critique du déficit glucométabolique, du stress oxydatif, et de l’apoptose.

La vie des sols peut être dégradée par les SDHI. F. SCHMITT (2021) cliquer —>[9] démontre que l’exposition au SDHI fluopyram du nématode Caenorhabditis elegans (ver millimétrique utilisé comme modèle d’étude en laboratoire, présentant une homologie génétique de 60 à 80 % avec l’homme) diminue la résistance au stress hyperthermique et affecte l’expression des gènes de la longévité et le métabolisme énergétique et provoque un stress oxydatif, des dommages intestinaux ainsi qu’une apoptose (LIU 2022) cliquer —> [10].

Les pollinisateurs sont également affectés par les SDHI. Le boscalide se montre toxique pour les abeilles domestiques et sauvages. En combinaison avec la pyraclostrobine il affecte le développement larvaire de l’abeille maçonne Osmia lignaria, réduit significativement le taux d’alimentation en pollen, réduit la survie des abeilles mellifères en fonction de la quantité absorbée et pourrait conduire à des pollinisateurs adultes en mauvaise santé et inefficaces (KOPIT 2022 cliquer —> [11], FISHER 2021 cliquer —>[12] et DESJARDINS 2021 cliquer —>[13]. Des effets chez l’abeille sont également observés avec des SDHI seuls.

IV – RAPPORT D’EXPERTISE COLLECTIVE DE L’ANSES (Agence Nationale de SEcurité Sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) « Actualisation des données relatives aux […] SDHI » 2019 – 2023 : avis et conclusion du Groupe de Travail cliquer —> (14)

Suite à l’alerte du collectif de scientifiques dont Pierre RUSTIN et Paule BENIT lancée dans le journal Libération du 15 avril 2018, l’ANSES s’est auto-saisie de la question des pesticides SDHI le 24/05/2018 et a publié un premier rapport d’expertise d‘urgence le 14/01/2019 ne retenant pas de preuve de conséquence pathologique de l’utilisation des pesticides SDHI notamment chez les agriculteurs utilisateurs.

Dans le même temps l’INSERM engagé en 2018 dans une réévaluation de son expertise de 2013 « pesticides : effets néfastes sur la santé », a ajouté à son étude un chapitre sur les SDHI (rapport « Pesticides : nouvelles données » 2018 – 2021). Ce chapitre ne retenait pas de preuve d’action néfaste tout en recommandant une poursuite de la surveillance.

Nous allons détailler les conclusions du rapport d’expertise collective de l’ANSES « actualisation des données relatives aux substances phytopharmaceutiques de la famille des SDHI » cliquer —> [] consécutif à une auto-saisine de l’ANSES en date du 6 décembre 2019 et publié en avril 2023 (document de 318 pages), rapport complété par un document de 53 pages intitulé « Avis de l’ANSES » en date du 17 novembre 2023 sur lequel nous reviendrons ensuite.

Ce travail a été marqué par les difficultés de consensus au sein des groupes d’experts, menant à la démission fin 2022 de trois experts et à l’ajout inhabituel au Rapport d’expertise de 9 avis divergents et de 10 contributions personnelles (respectivement pages 228 à 245 et pages 247 à 318 du rapport), et d’autre part d’un avis divergent sur la conduite de l’expertise inclus pages 47 à 49 dans la partie « Avis de l’ANSES ». Le point de discorde central étant en lien avec l’objectif du rapport de réviser les données sur les Valeurs Toxicologiques de Référence (VTR) sans trancher la question du risque sanitaire potentiel de l’utilisation de fongicides actifs sur la chaine respiratoire mitochondriale de presque toutes les cellules vivantes..

Les principales conclusions du Groupe de Travail (GT) sont les suivantes :
– pour les 14 fongicides SDHI étudiés, sur 39 VTR onze ont été réduites d’un facteur 1.5 à un facteur 3.3 au vu des études récentes.
– nécessité d’études complémentaires y compris lors du développement pour préciser un certain nombre d’effets repérés : effets ophtalmologiques avec possibilité de microphtalmie, effets neurologiques avec possibilité de toxicité chronique notamment sur les neurones dopaminergiques, effets rénaux considérés « non pertinents pour l’homme » mais à surveiller, effets reprotoxiques observés avec certains SDHI (mais pas d’effets communs à tous les SDHI), effets cardiologiques à préciser. Il est relevé des analogies entre les modifications des organes cibles identifiés par le groupe de travail et les effets adverses signalés dans les dossiers réglementaires
nécessité d’une surveillance des effets hépatiques car on observe des perturbations biologiques et une augmentation de volume du foie par gonflement des hépatocytes à prédominance centro-lobulaire (ceci évoquant une stéatose dont les conséquences à long terme peuvent être néfastes).
les effets toxiques liés à la toxicité mitochondriale n’ont pas été approfondis. L’étude du lien entre l’exposition aux SDHI et l’inhibition de la SDH n’est pas un requis réglementaire et est donc absente des dossiers industriels. Nécessité de « mettre en place une approche intégrée de l’évaluation de la mitotoxicité en général et de l’inhibition du complexe II en particulier dans le cadre d’une évaluation réglementaire pour les substances chimiques » (RECO 1). Le GT précise recommander le développement d’une stratégie séquentielle pour évaluer le potentiel mitotoxique et ses conséquences fonctionnelles, avec :
° la réalisation dans un premier temps de trois tests évaluant la fonction de phosphorylation oxydative, puis de tests in vitro complémentaires si altération de la phosphorylation oxydative ; enfin si la mitotoxicité n’apparaît pas en lien avec une inhibition du complexe II le développement de tests complémentaires spécifiques (RECO 1A) ;
° si une inhibition du complexe II est identifiée, la réalisation sur des modèles vertébrés adaptés in vivo de tests fonctionnels et analytiques appropriés pour évaluer les effets sur les tissus et organes ;
° la réalisation à l’issue de ces tests in vivo, de tests enzymatiques pour évaluer l’activité du complexe II dans les tissus et organes concernés (RECO 1B et 1C).
les effets des métabolites des SDHI ne sont pas connus, le marquage radio-actif des SDHI ingérés ne permet pas de différencier le composé parent de ses métabolites d’intérêt ni d’estimer la distribution par organe. Ceci ne permet pas de réaliser des modèles PBPK (Physiologically Based Pharmaco-Kinetics) génériques. Il faut améliorer les études de pharmacocinétique et utiliser la modélisation PBPK (RECO 3).
recommandation d’élargir les tests réglementaires avec des essais in vitro/ex vivo selon le concept des AOP (Adverse Outcome Pathway), voies d’effets indésirables en lien avec des séquences logiques d’évènements, ici le stress oxydatif et l’épigéno-toxicité (RECO 4). Et en particulier recommandation de développer une AOP « inactivation de la SDH et cancérogenèse » et une AOP « inhibition de la SDH et neurotoxicité incluant le neuro-développement et la neuro-dégénérescence ».
des effets Perturbateurs Endocriniens n’ont pas été recherchés dans les études réglementaires par les industriels car leur évaluation est antérieure à la mise en application de ces tests en 2018 et seront à rechercher au moment des réévaluations réglementaires à venir (l’évaluation exhaustive de la toxicité ne faisant pas partie du mandat du groupe de travail) d’autant que les effets sur la thyroïde et la surrénale sont à préciser.
chez le poisson zèbre il est noté un effet reprotoxique pouvant suggérer un effet Perturbateur Endocrinien, et chez les amphibiens un effet tératogène. S’il y a consensus sur l’absence de génotoxicité, un effet cancérogène est observé chez les rongeurs (augmentation des adénomes et des carcinomes, du foie notamment) ; cet effet est considéré non pertinent chez l’homme car l’effet cancérogène chez les rongeurs passe par l’activation du récepteur nucléaire CAR (Constitutive Androstane Receptor) spécifique aux rongeurs. Cette position est probablement incorrecte car peut on exclure une action des SDHI sur d’autres voies de cancérogenèse (stress oxydatif, épigénotoxicité, mitotoxicité, transition épithélio-mésenchymateuse). Il est rappelé qu’un groupe d’experts de l’OCDE cité dans le rapport INSERM 2021 discutait déjà la nécessité de réaliser d’autres tests réglementaires pour rechercher un potentiel cancérogène pour les substances actives non reconnues génotoxiques comme les SDHI.

Il faut rajouter enfin :
– les études épidémiologiques notamment chez les agriculteurs exposés, et en population générale, sont manquantes et apparaissent à développer. La question des effets des fongicides SDHI chez les humains présentant un dysfonctionnement de la chaine respiratoire latent, population présumée vulnérable évaluée à 1 personne sur 4000 en France, n’est pas connue (RECO 2).
– la nécessité d’étudier les fongicides en formulation d’autant que certaines comportent des associations de SDHI avec des fongicides de la famille des strobilutrines (dont la pyraclostrobine associée au boscalide dans la formulation commerciale Pristine°) qui inhibent la respiration cellulaire du complexe III de la chaine respiratoire. Les tests réglementaires effectués par les industriels concernant uniquement les Substances Actives isolées, plus ou moins les co-formulants isolés, la recherche d’un effet cocktail n’est pas actuellement réalisée.
l’impact des SDHI sur la biodiversité et la santé des écosystèmes n’est pas connue et reste à préciser (RECO 5).  En outre la soi-disant spécificité d’action antifongique des SDHI est invalidée par l’absurde par l’ajout aux indications d’un effet nématicide et acaricide.

Le Groupe de Travail de l’ANSES conclut son rapport ainsi : «  les tests requis lors de l’évaluation des dossiers réglementaires [des fongicides SDHI]  n’apparaissent ni adéquats ni suffisants pour évaluer la toxicité spécifique des SDHI au regard des données de la littérature ». Le GT « recommande la mise en place d’une expertise collective consacrée spécifiquement aux effets des SDHI et à l’évaluation des risques pour la biodiversité et la santé des écosystèmes. »

V –RAPPORT « ACTUALISATION DES DONNEES RELATIVES […] AUX SDHI » (2019 – 2023) DE L’ANSES : CONCLUSIONS ET AVIS DE L’ANSES (17 novembre 2023)cliquer —> [15]
Le rapport du GT a ensuite été soumis aux Comités d’Experts Spécialisés (CES) de l’ANSES pour discussion et validation, ce qui n’a pas fait l’objet d’une unanimité. Les discussions introduites par le CES Valeurs Sanitaires de Référence (CES VSR) sont relatées en détail, ne permettant pas de dégager un consensus pour l’action, ce qui était un des objectifs de cette expertise initiée suite à une auto-saisine fin 2019 et achevée dans le courant de l’année 2023. D’un point de vue extérieur l’expertise n’ayant permis aucun consensus serait à reprendre.

Les conclusions et recommandations de l’Agence signées de son directeur le Professeur Benoit VALLET terminent la partie Avis de l’ANSES du rapport d’expertise collective.

Dans ses conclusions l‘ANSES endosse la majorité des propositions du GT notamment en ce qui concerne la révision des Valeurs Toxicologiques Réglementaires (VTR) et souligne que « les analyses actuelles ne permettent pas de distinguer les conséquences sanitaires liées à une inactivation permanente [de la SDH] telle que peuvent en générer des déficiences génétiques, de celles d’une inhibition pouvant être d’ampleur modulée et temporaire par des xénobiotiques tels que les SDHI ».

L’ANSES endosse les recommandations méthodologiques et de recherche suivantes :
poursuivre l’amélioration des connaissances concernant les mécanismes d’action des SDHI et ses conséquences sanitaires
* en développant une stratégie séquentielle pour évaluer le potentiel mitotoxique et ses conséquences fonctionnelles
* en améliorant les connaissances sur la pharmacocinétique en vue de faciliter l’exploitation de données toxicologiques in vitro,
* en favorisant le développement des AOP

« Ces sujets pourront être portés auprès de l’OCDE et de l’EFSA afin de définir des stratégies de tests et des protocoles d’études qui pourront être utilisés dans le cadre de l’évaluation ».

           – améliorer les connaissances sur les niveaux d’exposition des populations aux SDHI
améliorer la connaissance des effets potentiels des SDHI sur les écosystèmes et leur impact sur la biodiversité

VI – QUELQUES CONCLUSIONS SUR LE RAPPORT D’EXPERTISE ANSES 2019 – 2023 SUR LES SDHI
Nous avons donc constaté que l’avis de l’ANSES suite à son rapport « actualisation des données sur les SDHI » 2019 – 2023  valide les modifications des valeurs réglementaires proposées par le GT et validées par le CES-VSR mais ne déclenche pas de modification des procédures réglementaires pour les industriels concernant les fongicides SDHI autorisés, ni de compléments de tests pour évaluer la mitotoxicité et les effets Perturbateurs Endocriniens, ceci étant à réaliser lors de l’établissement du dossier de demande de prolongation d’autorisation. Une investigation préventive complète des substances SDHI qui paraitrait légitime au nom du principe de précaution reste à définir.

Diverses associations et de nombreux scientifiques impliqués dans la recherche et l’étude des fongicides SDHI ont protesté régulièrement depuis 2018 contre
–  la prolongation à plusieurs reprises de l’autorisation de mise sur le marché du boscalide « la procédure de réévaluation étant encore en cours »
la place dévolue aux études des industriels par rapport aux études académiques
– la place dévolue à la conformité aux protocoles de tests réglementaires par rapport à la diversité moins codifiée des études expérimentales académiques
–  la non application du principe de précaution

Examinons ces quatre points :
1) Alors que l’autorisation initiale du boscalide en 2008 pour 10 ans se terminait en 2018, donnant 3 ans à l’agence sanitaire pour évaluer le dossier de demande de renouvellement déposé par BASF en 2015, la Commission Européenne a prolongé le 4 mai 2023 pour la sixième fois l’autorisation de mise sur le marché du boscalide pour trois ans supplémentaires soit jusqu’à avril 2026, arguant que le règlement l’oblige à prolonger quoiqu’il en coûte les pesticides en attente de réévaluation (la procédure de réévaluation étant toujours à l’étude), « indépendamment de leur risque pour la santé et l’environnement ou des retards pris dans la procédure de réévaluation ».

Ceci semble s’inscrire dans une fuite en avant technologique poussée par une vision scientiste face à la colère du monde agricole : problèmes de coûts de production,  de prix de vente et de rémunération, concurrence internationale dopée par les différences de coût du travail et de prix de revient, réduction du nombre de travailleurs dans le monde agricole poussant à la mécanisation et à l’agrandissement à outrance des exploitations et à plus d’engrais et de pesticides (avec en outre une progression considérable du recours aux fongicides systémiques essentiellement SDHI depuis les années 2010), régulation exclusivement par les mécanismes de marché financier….

                   2) Dans ces conditions de mission réglementaire, les huit rédacteurs du rapport du groupe de travail du Conseil scientifique de l’ANSES sur la crédibilité de l’expertise scientifique (novembre 2022) cliquer —> [16] se sont inquiétés dans une tribune publiée dans le journal Le Monde le 20 décembre 2023 cliquer —> [17] de la méthodologie retenue pour le rapport d’expertise « actualisation des données relatives aux SDHI » 2019 – 2023.

Un avis divergent sur la conduite de l’expertise inclus dans le rapport d’expertise critique la restriction aux VTR de la question posée dans l’expertise. L’ANSES a répondu à cet avis divergent que les VTR constituent des repères scientifiques résultant d’une analyse méthodique des connaissances disponibles sur la toxicité d’une substance et renvoie au guide méthodologique d’élaboration des VTR publiée par l’agence en 2017 cliquer —>[18].

« La lecture de ce guide méthodologique montre néanmoins que si environ 50 articles publiés dans des revues scientifiques sont cités dans le rapport d’expertise, la moitié de ces articles est liée à l’industrie (pharmaceutique, chimique, agrochimique) ou à des entreprises de conseil sur l’évaluation des risques ou de tests toxicologiques, par leurs auteurs ou leurs financements. L’un des articles en référence [a été reconnu] avoir été «  ghost-writé » par l’industriel Monsanto, trois sont liés à l’International Life Sciences Institute, dix sont publiés dans la revue « Regulatory Toxicology and Pharmacology » dont la publication est dominée par des groupes commerciaux industriels. La plupart des autres articles sont liés à des agences publiques […], seulement dix articles sont écrits uniquement par des auteurs académiques et sans financement industriel. Les autres références sont essentiellement des rapports ou avis se situant dans un cadre réglementaire. L’analyse méthodique des connaissances scientifiques prônée par le guide méthodologique de l’ANSES reste très influencée par les normes en vigueur et le point de vue des industriels […].

L’ANSES ne s’est pas dotée d’une méthodologie d’analyse des conflits d’intérêt […], question qui reste à l’appréciation des groupes d’expert »cliquer —> [17]. Dans son rapport sur la crédibilité de l’expertise scientifique de 2022 le conseil scientifique de l’ANSES avait recommandé 27 mesures, dont le développement d’une méthodologie de criblage systématique des liens d’intérêt. La tribune appelle l’ANSES à s’appuyer sur toutes les données scientifiques non biaisées par des conflits d’intérêt et à considérer avec prudence les publications écrites ou financées par l’industrie.

                    3) Les procédures d’évaluation réglementaires par les industriels sont détaillées dans les protocoles de l’OCDE et le rapport d’expertise « guide d’élaboration des Valeurs Toxicologiques de référence » de l’ANSES du 14 novembre 2017 cliquer —>(18) . Les critiques que l’on peut formuler à leur endroit ont déjà été cités. Pour la cancérogenèse, étude uniquement sur les rongeurs tout en mettant de côté les conclusions si la mise en jeu du récepteur CAR est soupçonnée ; absence de recherche des effets perturbateurs endocriniens au moins jusqu’à 2018 (et les dossiers d’AMM des pesticides sont pour la plupart antérieurs à cette date) ; absence de recherche d’un effet mitotoxique pour les pesticides SDHI ; absence d’études en co-formulation ; absence d’études de toxicité vie entière….

D’autre part de nombreuses études académiques peuvent être écartées si elles n’ont pas fidèlement été conformes aux préconisations des protocoles réglementaires. Le poids des intérêts économiques est en outre mentionné comme un frein à la réalisation de certaines procédures d’évaluation pré-AMM et à la prise en compte d’une expertise indépendante.

Notons au passage que cette situation est susceptible de s’aggraver dans le futur avec les volontés gouvernementales de placer l’ANSES, agence réglementaire mais également responsable des autorisations de mise sur le marché et du suivi de celles- ci, sous la tutelle politique du ministère de l’agriculture.

VII – ET LE PRINCIPE DE PRECAUTION DANS TOUT CELA ?
Nous allons reprendre d’abord quelques éléments de l’analyse approfondie du principe de précaution réalisée par Didier Bourguignon pour le parlement européen en décembre 2015 cliquer —>[19].

En droit de l’environnement le principe de précaution apparaît en Allemagne dans les années 1970 face à la pollution atmosphérique puis est affirmé dans la convention de Vienne de 1985 qui préconise des « mesures de précaution » pour la protection de la couche d’ozone. Il est repris en 1992 dans la déclaration de la conférence de Rio, reconnu par l’Union européenne dans le traité de Maastricht en 1992, puis en 1995 dans le code de l’environnement français.

Il est défini en droit français, en 2005, dans l’article 5 de la charte de l’environnement adossée à la constitution, comme s’appliquant devant un risque incertain de réalisation d’un dommage qui « pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement », commandant la mise en œuvre « de procédures d’évaluation » et « l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ». Plusieurs textes mentionnent qu’« en cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives… » (déclaration de Rio 1992). Le traité de Maastricht mentionne en outre que pour « prévenir certains risques potentiels pour la santé publique, la sécurité et l’environnement », « les exigences liées à la protection de ces intérêts [doivent] prévaloir sur les intérêts économiques. ».

Le principe de précaution est aujourd’hui largement considéré comme un véritable principe de droit international de portée générale même si cela est parfois contesté. Cependant il n’existe pas de définition unique du principe de précaution et diverses conceptions s’affrontent, notamment en fonction du degré d’incertitude scientifique devant lequel on est placé (on rappelle ici que si un risque est établi avec certitude c’est le principe de prévention qui s’applique).

En 2000 la commission européenne s’est inquiétée d’un risque de « recours injustifié au principe de précaution en tant que forme déguisée de protectionnisme », ajoutant « qu’il appartient aux décideurs politiques et en dernier recours à la justice de préciser les contours de ce principe ». En outre pour certains « le principe de précaution est arbitraire et non scientifique […].  Il pourrait mener à la paralysie et menacer le progrès humain. Il serait une réponse aux peurs que l’esprit humain peut nourrir à propos des situations de risque et d’incertitude… ».

D’autres trouvent le principe de précaution utile pour éviter des dangers complexes (l’environnement est intrinsèquement vulnérable, la science ne peut prédire avec exactitude toutes les menaces, des procédés moins dangereux existent…) ; en outre cela permettrait d’aligner les intérêts des entreprises avec ceux de la société dans un contexte où les entreprises n’ont souvent pas à payer l’intégralité des couts de dégâts sur l’environnement et la santé en dépit du principe de pollueur – payeur.

Le débat sur l’application large du principe de précaution est donc ouvert, avec des positions et des arrière-pensées fort différentes suivant les acteurs et les institutions. Il est prolongé par d’autres débats : la question du renversement de la charge de la preuve, la place des analyses couts-bénéfices ou cout-efficacité, l’arbitrage entre risques…. L’Agence Européenne de l’Environnement préconise d’évaluer les avantages et désavantages de l’action et de l’inaction, en y incluant les aspects inquantifiables…

L’application du principe de précaution aux fongicides SDHI suite à l’alerte des scientifiques du 15 avril 2018 a été longuement décortiquée par Laure MANACH dans son mémoire de Master d’Affaires Publiques de Sciences-Po « l’évaluation des risques en tension : l’alerte sur les pesticides SDHI en France », mai 2020 cliquer —>[20], Nous allons ici reprendre le principal de ses analyses et conclusions.

L’ANSES a pour mission l’évaluation des risques via des expertises et l’élaboration de dispositions réglementaires. Il lui a été confié par la suite la mission de gestion des risques et la délivrance des Autorisations de Mise sur le Marché (AMM) des produits phyto-pharmaceutiques ainsi que l’examen des demandes de renouvellement d’autorisation.

« La science réglementaire est née d’un besoin de vérifier la toxicité des substances […], la toxicologie est devenue l’un des outils d’évaluation des risques associés à l’utilisation de produits chimiques, permettant de fonder les décisions publiques de régulation sur la science, via notamment des protocoles d’études réglementaires effectués par les industriels et transmis aux agences dans les dossiers de demande d’AMM, et l’établissement de valeurs limites d’exposition, selon des règles progressivement formalisées et codifiées à travers des conventions internationales issues d’institutions telles que l’OCDE et l’OMS. […]. Les agences sont sensées incarner les principes de bonne expertise et constituer une garantie d’indépendance en raison de leur éloignement vis à vis de l’état en permettant de séparer les considérations de santé publique des intérêts économiques […]. »

  1. MANACH détaille ensuite l’historique de la rencontre entre le groupe de scientifiques à l’origine de l’alerte sur les SDHI dans les médias et les experts de l’ANSES et énumère les points de friction entre les deux mondes d’experts :

–     conflits de mission et de méthodologie entre les deux mondes :
pour les uns, l’avancement de la science et la découverte d’une problématique comportant des risques pour la santé et l’environnement ; pour les autres, la tache de maintenir un cadre de rigueur sur des substances dont le dossier d’AMM n’avait pas soulevé de problème au regard des tests réglementaires et qui n’ont pas à ce jour entrainé d’effet sanitaire objectivé. Pour les uns : nécessité de rechercher systématiquement la mitotoxicité, pour les autres : recherche non obligatoire en l’état de la science réglementaire. Pour les uns, danger en lien avec le mode spécifique d’action cellulaire, pour les autres : absence de données épidémiologiques sur un risque.

  • conflits de personnalités et de mission institutionnelle :pour les uns : risque sociétal élevé ; pour les autres règles de sécurité à peut être adapter.
    Pour les uns, rigueur institutionnelle considérée comme de l’arrogance, pour les autres : disqualification de l’alerte sur les SDHI considérée comme militante.
    Pour les deux parties, mise en rivalité sur la question des compétences en toxicologie et sur ce qui doit être réalisé dans les études réglementaires des substances.
  • conflit sur le niveau de preuve : sur quoi se baser pour décider qu’un énoncé scientifique doit être converti en action de réglementation ? Du point de vue de l’ANSES il y a exigence d’un niveau de preuve fort, du fait de sa qualité d’agence d’expertise scientifique et du contexte international de régulation dans lequel elle s’inscrit ; du point de vue des scientifiques la connaissance du mécanisme de blocage de la SDH justifierait à elle seule le retrait de toutes les substances ayant ce mécanisme, la confirmation de la mitotoxicité sur les cellules humaines et d’organismes non cibles est un argument suffisant.
  • conflit sur l’application du principe de précaution : qu’est ce qu’un danger « grave et irréversible » ? Pour les scientifiques académiques la possibilité d’effets sur l’environnement et la possibilité d’induire ou d’aggraver des maladies mitochondriales (avec une crainte particulière concernant des maladies neuro-dégénératives de constitution progressive tardive) sont suffisants pour devoir « parer à la réalisation du dommage ».
  • question sur le lieu de la décision réglementaire. Du point de vue de l’ANSES la démarche du principe de précaution enjoint de faire une évaluation des risques et de prendre des mesures « proportionnées » – dans le cas des SDHI il faut poursuivre la surveillance sanitaire et continuer les études scientifiques des substances ; l’utilisation du principe de précautions sous forme d’une mesure d’interdiction serait reconnaître l’incapacité des scientifiques de l’agence à produire des preuves suffisantes. Mais par ailleurs, l’établissement du niveau de risque « acceptable » au vu d’une évaluation coût-bénéfice relève d’un choix de société et donc relèverait d’avantage du politique que de l’expertise. Ceci est exprimé dans le rapport du GECU (Groupe d’Expertise Collective d’Urgence) de l’ANSES dans son avis sur les SDHI du 15 janvier 2019 : « selon les chercheurs lanceurs d’alerte la mitotoxicité est un effet sanitaire suffisamment grave pour devoir être pris en considération sans évaluation du risque et donc uniquement sur la base du danger identifié […]. Ce positionnement relève d’une décision politique qui devrait faire ultimement l’objet d’une adoption au niveau européen » [cité par L. MANACH – [20].

Mentionnons encore d’autres questions : qu’en est-il de la neutralité et de l’objectivité de la science, et des agences d’expertise ?  Que peuvent faire et dire des scientifiques « coincés » dans leur expression car si l’emprunt de la voie médiatique et militante leur est reprochée, au sein des expertises institutionnelles les critiques trop virulentes sont écartées au motif d’être trop politiques ? Quid du recours à la justice par les ONG environnementalistes qui sont accusées de faire « un usage protestataire de la science » s’inscrivant dans la notion d’activisme fondé sur la preuve ? En outre la confiance de la société dans la capacité de la science réglementaire et du pouvoir politique à protéger est ébranlée…

Enfin L. MANACH constate que, alors que « le système d’évaluation des produits phytopharmaceutiques fait peser la charge de la preuve de l’innocuité des substances sur les industriels, les exemples récents (retrait des néonicotinoides en France, SDHI) montrent que ce sont désormais aux chercheurs du secteur public et aux ONG d’apporter la preuve de la toxicité de ces produits alors même que les chercheurs académiques n’ont pas pour métier de mener des évaluations toxicologiques cliquer —> [20]. »

Une solution est de s’abriter derrière la définition de normes réglementaires (Valeurs Toxicologiques de Référence pour chaque substance active utilisée…) à respecter et censées être protectrices – normes remises actuellement en cause par une partie des acteurs en raison de leur caractère contraignant, et par d’autres acteurs comme difficiles à fixer si ce n’est de manière arbitraire.

 

Concluons maintenant.
L’affaire des fongicides SDHI qui a déjà fait l’objet de multiples alertes, tribunes, confrontations, expertises, travaux scientifiques, est encore loin d’être tranchée. Mais l’évolution actuelle des modes agriculturaux a un coût propre et pas seulement financier (augmentation des consommations en intrants, énergie et carburants, perspective du réchauffement climatique et progression des désordres environnementaux, perte d’efficacité du fait du déclin des pollinisateurs, de la réduction de la teneur des sols en matière organique, de la moindre disponibilité de l’eau…) auxquels il faudra ajouter le poids de l’inaction et le risque d’impacts négatifs des pesticides sur la santé humaine et l’environnement, tout ceci n’étant en outre pas réellement chiffré.

Peut-on impunément poursuivre ce modèle agricultural et économique ? Signalons ici une expérimentation dans les Deux Sèvres en dialogue avec les agriculteurs sur un site d’études de 450 km2 comportant de grandes plaines céréalières, en collaboration avec le centre d’études de Chizé. cliquer —> [21].  Il apparaît dans cette expérimentation qu’une réduction d’utilisation de 30 à 50 % des intrants, engrais et pesticides, ne baisse pas significativement les rendements et s’accompagne d’une réduction des charges et d’une majoration des revenus des agriculteurs. Comme si les protocoles d’utilisation de pesticides étaient boostés par une crainte excessive du développement de maladies, alors que la prévention peut passer par d’autres voies que la chimie (rotation des cultures, prairies temporaires et permanentes non labourées et non retournées, sarclage mécanique…) – et par la nécessité de répondre aux critères de standardisation des filières agro-alimentaires dépassant la recherche d’une meilleure qualité environnementale (cf « Réconcilier nature et agriculture, Champs de recherche, Vincent Bretagnolle et Vincent Tardieu, CNRS Editions).

La société attend de nos institutions une prise de conscience collective des atteintes à l’environnement au nom du techno-productivisme, mais beaucoup d’intérêts sont en jeu, y compris la question du prix de l’alimentation et de la paix sociale, et du partage de la valeur….

BIBLIOGRAPHIE
1 – BENIT P., BORTOLI S., HUC L., SCHIFF M., GIMENEZ-ROQUEPLO A-P., RAK M., GRESSENS P., FAVIER J., RUSTIN P. – A new threat identified in the use of SDHIs pesticides targeting the mitochondrial succinate deshydrogenase enzyme – www.BioRxiv.org/content/early/2018/03/29/289058, 29 mars 2018
2 – BENIT P., BORTOLI S., CHRETIEN D., RAK M., RUSTIN P. – Pathologies liées aux déficits du cycle de Krebs –Revue francophone des laboratoires, 501, avril 2018, p49-57
3 – MOOG S., FAVIER J. – Rôle de la succinate déshydrogénase dans le cancer – Médecine/ sciences 2022, 38, 255-62
4 – BENIT P., KAHN A., CHRETIEN D., BORTOLI S., HUC L., SCHIFF M., GIMENEZ-ROQUEPLO A-P., FAVIER J., GRESSENS P., RAK M., RUSTIN P. – Evolutionary conserved susceptibility of the mitochondrial respiratory chain to SDHI pesticides and its consequences on the impact of SDHIs on human culture cells – PloS ONE 2019, 14 (11) e0224132 12019 , 7 novembre 2019
5 – d’HOSE D., ISENBORGHS P., BRUSA D., JORDAN B., GALLEZ B. –The short-term exposure to SDHI fungicides Boscalid et Bixafen induces a mitochondrial dysfunction in selective human cell lines – Molécules, septembre 2021, 26 (19) :5842
6 – YANICOSTAS C., SOUSSI-YANICOSTAS N. – SDHI fungicide toxicity and associated Adverse Outcome Pathway : what can zebrafish tell us ? – International Journal of Molecular Sciences 2021, 22, 123662
7 – SCHMITT F., BABYLON L., DIETER F., ECKERT G. – Effects of pesticides on longevity and bioenergetics in invertebrate – the impact of polyphenolic metabolites – Int. J. Mol. Sci. 2021, 22, 13478
8 – LIU Y., ZHANG W., WANG Y., LIU H., ZHANG S., JI X., QIAO K. – Oxidative stress, intestinal damage, and cell apoptosis : toxicity induced by fluopyram in Caenorhabditis elegans – Chemosphere 2022, 286 (p3), 131830
9 – KOPIT A., KLINGER E., COX-FOSTER D., RAMIREZ R., PITTS-SINGER T. – Effects of provision type and pesticide exposure on the larval development of Osmia lignaria (Hymenoptera : megachilidae) –  Environmental Entomology 2022, 51(1), 240-251
10 – FISHER A., COGLEY T., OZTURK C., DEGRANDI-HOFFMAN G., SMITH B., KAFTANOGLU O., FEWELL J. HARRISON J. – The  active ingredients of a mitotoxic fungicide negatively affect pollen consumption and worker survival in laboratory-reared honey bees (Apis mellifera) – Ecotoxicology and Environmental Safety 2021, 226, 112841
11 – DESJARDINS S., FISHER A., OZTURK C., FEWELL J., DEGRANDI-HOFFMAN G., HARRISON J., SMITH B. – A common fungicide,  Pristine°, impairs olfactory associative learning performance in honey bees (Apis mellifera) – Environmental Pollution 2021, 288, 117720
12 – ANSES – Actualisation des données relatives aux substances phytopharmaceutiques de la famille des inhibiteurs de la succinate deshydrogénase (SDHI) : rapport d’expertise collective – avril 2023 (318 pages)
13 – ANSES  – Actualisation des données relatives aux substances phytopharmaceutiques de la famille des inhibiteurs de la succinate deshydrogénase (SDHI) : AVIS – novembre 2023 (53 pages)
14 – ANSES – La crédibilité de l‘expertise scientifique : enjeux et récommandations – Rapport du groupe de travail et du Conseil scientifique de l’ANSES,  novembre 2022 (134 pages)
15 – Collectif des rédacteurs du rapport [14] – Pesticides : « L’ANSES doit s’appuyer sur toutes les données scientifiques non biaisées par des conflits d’intérêts » – Tribune – Journal Le Monde, 20 décembre 2023
16 – ANSES – Rapport relatif aux Valeurs Toxicologiques de Référence – Guide d’élaboration de VTR  – saisine 2017-SA-0016 – 14 novembre 2017 – 186 pages
17 – BOURGUIGNON D., EPRS / Service de recherche du Parlement européen – Le principe de précaution : Définitions, applications et gouvernance – décembre 2015, PE573.876 (26 pages)
18 – MANACH L. – L’évaluation des risques en tension : L’alerte sur les pesticides SDHI en France – Mémoire de Master des Affaires Publiques – SciencesPo, mai 2020 (65 pages)
19 – ANSES – Avis du Groupe d’Expertise Collective d’Urgence relatif à l’évaluation du signal concernant la toxicité des fongicides SDHI – 15 janvier 2019
20 – HAUTEMULLE G. – Dans les Deux-Sèvres, un laboratoire dans les champs – CNRS Le journal, 09/06/2023

 2)  La saga autour des SDHI

Les pesticides à base de SDHI (inhibiteurs de la succinate déshydrogénase) sont utilisés comme fongicides dans l’agriculture et l’entretien des espaces verts.. Ils agissent en bloquant l’enzyme SDH ( succinate déshydrogénase ) qui intervient dans le cycle de Krebs au niveau des mitochondries (chaîne respiratoire cellulaire).

Des controverses se sont succédées ayant pour objet la dangerosité des SDHI et leur homologation.

I- ASPECT TECHNIQUE

1) Définition des SDHI
Les SDHI (inhibiteurs de la succinate déshydrogénase-en anglais succinate dehydrogenase inhibitor) sont des molécules à la base de fongicides commercialisés sous différentes formulations, les plus fréquents étant le boscalid le flutolanil le bixafen

2) Mode de fonctionnement
Ces molécules s’attaquent à la fonction respiratoire des champignons pathogènes afin de les détruire (but recherché) et potentiellement celle d’autres cellules, au niveau des mitochondries, par blocage de l’enzyme SDH qui intervient dans le cycle de Krebs.

Lire la présentation à propos des maladies mitochondriales Pathologie Mitochondriale

3) Les produits
Les SDHI sont employés comme fongicides sur des champignons affectant les cultures (céréales (blé-orge) pomme de terre, agrumes, vignes, semences, fraises, salades, pommes) et pour l’entretien des espaces verts (golf-stades)

Onze substances actives de cette famille entrent aujourd’hui dans la composition de produits phytopharmaceutiques autorisés en France. Parmi les plus fréquemment utilisés :

– Le boscalid, du groupe BASF et autorisé dans l’Union européenne depuis 2008, est le plus vendu dans notre pays. Le boscalid est un des résidus de pesticides le plus fréquemment retrouvé dans les aliments au niveau européen, selon une analyse menée en 2014 par l’ ANSES  (Autorité européenne de sécurité des aliments).

(https://www.anses.fr/fr/content/avis-de-l’anses-relatif-à-l’actualisation-des-indicateurs-de-risque-alimentaire-lié-aux)

https://pubchem.ncbi.nlm.nih.gov/compound/Boscalid

https://substances.ineris.fr/fr/substance/2772

https://echa.europa.eu/fr/substance-information/-/substanceinfo/100.115.343

– Le bixafen entre dans la composition de plusieurs produits commerciaux

https://pubchem.ncbi.nlm.nih.gov/compound/11434448

https://substances.ineris.fr/fr/substance/4795

https://echa.europa.eu/fr/substance-information/-/substanceinfo/100.170.250

– Le flutolanil entre dans la composition de plusieurs produits commerciaux.

https://pubchem.ncbi.nlm.nih.gov/compound/flutolanil

https://substances.ineris.fr/fr/substance/1002

https://echa.europa.eu/fr/substance-information/-/substanceinfo/100.124.630

4) Evaluation de la toxicité
Les professionnels de santé publique utilisent des valeurs toxicologiques de référence (VTR), établies par des instances internationales ou nationales, afin de caractériser certains risques sanitaires encourus par les populations. Ces VTR sont des éléments qui établissent la relation entre une dose externe d’exposition à une substance toxique et la survenue d’un effet nocif et sont spécifiques d’un effet, d’une voie et d’une durée d’exposition. Les tests de toxicité sont réalisés avec des modèles animaux et cellulaires

On distingue deux types de VTR selon les effets observés :

Effet nocif à seuil de dose -VTR à seuil : les valeurs sont construites dans le cas de substances provoquant, au-delà d’une certaine dose, des dommages dont la sévérité augmente avec la dose absorbée

Effet nocif sans seuil de dose – VTR sans seuil : les valeurs sont construites dans le cas de substances pour lesquelles l’effet peut apparaître quelle que soit la dose reçue ; elles se définissent comme une augmentation de la probabilité, par rapport à un sujet non exposé, qu’un individu exposé lors de sa vie entière à une unité de dose de la substance développe une pathologie. Elles s’expriment sous la forme d’un excès de risque unitaire (ERU) exprimé en inverse d’unité de dose (exemple : 1 excès de risque de cancer pour 10 000 personnes exposées à X mg/m³ ou mg/kg/j)

Définition des durées d’exposition

  • Exposition aiguë: < 24h
  • Exposition subaiguë: < 1 mois
  • Exposition subchronique: 1 à 3 mois
  • Exposition chronique: > 3 mois

 

5) Législation
Les produits phytopharmaceutiques sont soumis à une demande d’autorisation avant leur mise sur le marché, sur la base d’une évaluation scientifique dont les critères sont fixés par une réglementation spécifique de l’Union européenne et réalisée à l’échelon européen.

L’autorisation de mise sur le marché (vente et utilisation) s’effectue au niveau de chaque État membre, en France, par l’ANSES depuis 2015.

Le dossier de demande de mise sur le marché inclut les études requises par la réglementation, réalisées avec le produit formulé tel qu’il sera utilisé (avec co-formulants) et, s’il en existe, les publications scientifiques pertinentes.

L’ANSES évalue l’efficacité des produits et les risques liés à leur utilisation pour les applicateurs, les travailleurs, les résidents et les personnes présentes à proximité des lieux d’application, les consommateurs, l’environnement, la faune et la flore. L’ANSES fait intervenir des équipes d’évaluateurs scientifiques spécialistes de différentes disciplines (chimie, toxicologie, écotoxicologie, etc.), un comité d’experts spécialisés indépendant, en tenant compte des données de la littérature scientifique et de celles issues des dispositifs de surveillance.

Sur la base de cette évaluation, les décisions d’autorisation ou de refus sont délivrées pour chaque usage du produit et pour une durée définie.

https://www.anses.fr/fr/content/que-sont-les-produits-phytopharmaceutiques

 

II-CHRONOLOGIE DE LA CONTROVERSE

Pierre Rustin, biochimiste et directeur de recherche au CNRS est responsable d’une équipe de l’INSERM spécialisée dans les maladies mitochondriales liées au dysfonctionnement de l’enzyme succinate déshydrogénase (ou SDH) intervenant dans la fonction respiratoire.

L’équipe du CNRS, dirigée par P. Rustin, a montré que l’enzyme SDH est commune à de nombreuses espèces (du lombric à l’homme), espèces qui peuvent être affectées par l’action des SDHI. Il a montré que les SDH de 22 espèces différentes étaient très similaires, en particulier dans les zones ciblées par les SDHI. Elle pointe une sur-sensibilité aux effets des SDHI des cellules de patients atteints de maladie neuro-dégénérative (Alzheimer, ataxie de Friedrich).

Fin novembre 2017, l’équipe contacte l’ANSES qui répond que « pour l’instant, l’évaluation scientifique des risques liés à l’usage de ces produits, qui prend en compte le mécanisme d’action, conclut à une absence de risque inacceptable » et dit ne pas avoir, à ce stade, d’éléments « pour les interdire ou les suspendre sur la base d’hypothèses tirées de leur mécanisme d’action ». Après examen des données de l’étude, l’ANSES dit que celles-ci n’ont pas permis à l’ANSES de trouver des « éléments nouveaux qui permettraient d’alimenter une réévaluation des risques ».

En mars 2018, Pierre Rustin et ses collègues publient dans la revue bioRxiv une prépublication (avant relecture par un comité de lecture constitué de pairs) de résultats de tests in vitro sur l’effet de molécules de la famille des SDHI (huit molécules) ; selon cette étude, l’action des SDHI pourrait également s’exercer sur des organismes qui ne sont pas la cible recherchée du produit et sont donc aussi capables de bloquer celle du ver de terre, de l’abeille et de cellules humaines, dans des proportions variables

L’étude – qui a porté sur 8 des 11 molécules actuellement vendues en France- met également en cause la fiabilité des tests réglementaires actuels de toxicité. L’une des raisons pour lesquelles ces fongicides peuvent avoir passé sans encombre le filtre de l’homologation tient à leur mode d’action. Ces molécules ne sont, en effet, pas mutagènes – la mutagénicité est l’une des étapes-clés vers la cancérogénèse – mais elles agissent indirectement sur l’épigénome (le système de régulation des gènes), augmentant ainsi les risques de certains cancers. Ces mécanismes, écrivent en substance les chercheurs, ne sont pas recherchés par les tests réglementaires, préalables à la mise sur le marché. Enfin, les chercheurs et chercheuses ont montré que les conditions des tests réglementaires actuels de toxicité masquent un effet très important des SDHI sur des cellules humaines : les fongicides induisent un stress oxydatif dans ces cellules, menant à leur mort

Le 15 avril 2018, deux semaines après la prépublication de l’étude, plusieurs des signataires ( un collectif de chercheurs, cancérologues, médecins, et toxicologues, du CNRS, de l’INSERM, de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et de différentes universités ) publient une tribune dans Libération appelant à « suspendre l’utilisation de ces produits [les SDHI] utilisés dans l’agriculture tant qu’une estimation des dangers pour la santé n’aura pas été réalisée par des organismes publics et indépendants des industriels », exprimant leur inquiétude à l’égard des fongicides SDHI et des effets délétères qu’ils pourraient avoir sur l’environnement et la santé humaine.

L’exposition aux SDHI se produit de manière chronique dans la population générale – tout au long de la vie professionnelle pour les agriculteurs, et tout au long de la vie pour l’ensemble de la population. Ce paramètre ne serait pas évalué dans les tests actuellement prévus par la réglementation.

Cela a conduit l’ANSES à monter un groupe d’expertise afin de « déterminer si les informations et hypothèses scientifiques mentionnées par les auteurs [de la tribune] apportaient des éléments en faveur d’une exposition et de risques ».

Le 24 mai 2018, l’Assemblée Nationale auditionne l’équipe de chercheurs. http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/cr-cealimindu/17-18/c1718005.pdf

Les signataires de la tribune sont auditionnés le 14 juin 2018. L’Anses rappelle qu’elle a informé les autorités européennes, les Etats membres de l’UE et ses homologues nord-américains du signal concernant les fongicides SDHI dès 2018. .

Le 15 janvier 2019, l’ANSES a publié en réponse un rapport rédigé par un groupe d’experts estimant que l’alerte n’était pas justifiée mais que des recherches ultérieures devaient être conduites.

https://www.anses.fr/fr/content/fongicides-inhibiteurs-de-la-succinate-déshydrogénase-sdhi-l’anses-présente-les-résultats-de

(L’intérêt du rapport est une présentation de la réglementation d’homologation au niveau et européen, une présentation de chaque produit (11 substances actives) et leur utilisation, leur biochimie, les questions soulevées par l’équipe de P. Rustin)

L’Agence a transmis ses conclusions à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et à l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA).

« CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS DE L’AGENCE

Au vu des conclusions du GECU (Groupe d’expertise collective d’urgence), l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail considère que les informations et hypothèses scientifiques apportées par les lanceurs de l’alerte n’apportent pas d’éléments en faveur de l’existence d’une alerte sanitaire qui conduirait au retrait des autorisations de mise sur le marché actuellement en vigueur conformément aux cadres réglementaires nationaux et européens.

En effet, en considérant les données de la littérature, des évaluations européennes des substances et des données issues de la vigilance :

  • le niveau des expositions alimentaires totales rapportées aux seuils toxicologiques actuellement établis est faible et les dépassements de LMR pour ces substances actives sont exceptionnels,
  • le métabolisme de ces substances est important et leur élimination est rapide,
  • au regard des sources consultées, il n’a pas été identifié de données suggérant une augmentation de l’incidence des cancers spécifiques associés au déficit en SDH, chez l’Homme non porteur de mutation (chez les professionnels exposés par exemple), malgré une commercialisation parfois ancienne de ces molécules SDHI, ni de données suggérant un impact pour les organismes de l’environnement.

L’ANSES endosse également les recommandations du GECU visant à approfondir les connaissances relatives aux dangers des SDHI, aux expositions à ces molécules, aux risques qui découleraient de ces expositions, et au renforcement des dispositifs réglementaires existant, notamment concernant les méthodologies d’évaluation des risques. Il convient également de noter que l’ANSES a rapporté les éléments présentés par les scientifiques signataires de la tribune au niveau européen en informant la Commission Européenne, l’EFSA, l’ECHA et les autres états membres, le présent avis de l’ANSES et rapport du groupe de travail seront transmis à ces instances. Par ailleurs, lors de l’examen de l’approbation ou de la réapprobation, dans le cadre des procédures définies par le règlement (CE) 1107/2009, des substances actives de la famille des SDHI, l’ANSES a d’ores et déjà fait part de la nécessité de mieux prendre en compte le mécanisme de l’inhibition de la SDH et les effets potentiellement induits dans l’évaluation de la toxicité de ces substances ».

En juin 2019, les chercheurs signent une nouvelle tribune publiée dans Le Monde dénonçant « l’incapacité des experts en toxicologie à protéger la nature et possiblement l’Homme des méfaits des pesticides » et adressent, aux côtés de l’association Pollinis, une pétition au Parlement européen.

Le 25 juillet 2019, l’Anses fait le point sur les travaux en cours et annonce que « à ce jour, aucun nouvel élément n’est venu confirmer l’existence d’une alerte sanitaire qui conduirait au retrait des autorisations de mise sur le marché en vigueur, conformément aux règlements nationaux et européens relatifs aux produits phytopharmaceutiques ». Elle rappelle qu’elle a saisi l’Inserm afin que la question des effets des SDHI sur la santé soit bien intégrée dans la mise à jour de son expertise collective sur les effets sanitaires liés aux pesticides. Elle réitère ses conclusions rendues, le 15 janvier 2019, dans son avis analysant la toxicité de ces produits.

Le 11 septembre 2019, le journaliste Fabrice Nicolino publie un livre intitulé « Le crime est presque parfait – L’enquête choc sur les pesticides et les SDHI ».

13 Septembre 2019, P. RUSTIN publie une lettre ouverte à Mr le Président de l’Anses :

« Monsieur Genet, vous me permettrez de rectifier quelques-unes des erreurs que vous avez commises – sans doute par ignorance – dans vos récentes affirmations concernant l’affaire des SDHI. Ainsi, vous prétendez que l’Anses soutiendrait certains travaux de recherche sur les SDHI (succinate dehydrogenase inhibitors) à la tête desquels se trouveraient des scientifiques et des médecins qui ont initialement lancé l’alerte concernant ces fongicides. C’est faux. Les co-signataires de l’alerte sur les SDHI et la consultation du site de l’Anses vous confirmeront l’évidence : aucun projet de recherche n’est en pratique démarré à ce jour. Seules des discussions ont ou ont eu lieu, qui ont porté sur l’éventuelle pertinence qu’il y aurait à étudier la cohorte française des malades atteints de paragangliomes et/ou phéochromocytomes (tumeurs et/ou cancers résultant des mutations des gènes de la SDH, la succinate déshydrogénase). En tout état de cause de telles études auraient évidement dû précéder et non suivre l’autorisation de mise sur le marché de ces poisons. Nous sommes donc loin, très loin du compte ! Vous me reprochez de ne pas avoir transmis à l’Anses les éléments de preuve de la toxicité des SDHI sur l’homme. Cette demande – je l’espère – relève d’une méconnaissance de ce que sont les maladies mitochondriales. En effet, comment ignorer la grande latence intervenant entre un blocage partiel du fonctionnement des enzymes de la chaîne respiratoire – soit l’effet attendu des SDHI – et l’apparition de pathologies associées ? Cette latence est bien connue des spécialistes dont nous sommes de ces maladies, et amplement documentée par des dizaines de publications. Permettez une illustration de ce phénomène : bien que présentes dès la conception, les dysfonctions de la chaîne respiratoire observées dans les maladies génétiques peuvent mettre jusqu’à vingt, voire trente ans à apparaître chez les personnes atteintes. Un éventuel empoisonnement de la chaîne respiratoire par les SDHI mettra donc de très nombreuses années, des dizaines probablement, avant d’avoir une traduction pathologique. Vu le caractère partiel de l’inhibition le SDH telle qu’on peut l’attendre d’une lente imbibition par les SDHI, on peut raisonnablement prédire l’apparition ou l’accélération de pathologies neurologiques, type Parkinson et Alzheimer. Seule une grande malhonnêteté scientifique pourrait conduire à soutenir un autre point de vue. Comme vous le savez pertinemment, nous avons établi et fourni à l’Anses, les preuves scientifiques 1) de l’évidence du danger représenté par l’usage massif des SDHI, 2) de l’obsolescence totale des tests toxicologiques réglementaires demandés aux industriels et 3) de la non-spécificité (ni d’espèce, ni de cible) des SDHI, en particulier de ceux de dernière génération. Ces éléments évidement cruciaux, que nous avons exposés à l’Anses, vous les passez curieusement sous silence. Enfin, je vous ai invité et vous invite encore, Monsieur Genet, à vous rendre dans notre laboratoire pour vous expliciter de nouveau ces données dans tous leurs détails. Vous n’avez pas même accusé réception de mes courriers ou emails. Pour rappel, les données de notre travail de recherche ont été communiquées à l’Anses avant même leur publication (publication soumise désormais, et mis à disposition une partie d’entre elles sur le site BioRxiv). Si, par aventure, vous recherchiez des « signaux forts » pour nourrir le travail d’une agence supposée attentive à l’environnement, l’effondrement de la biodiversité observée en France et en Europe devrait vous sauter aux yeux. Avec un responsable central, dont le nom revient obstinément d’étude en étude : l’usage immodéré des pesticides fait dans l’agriculture intensive. Parmi ces pesticides, les SDHI, avec leur totale absence de spécificité d’espèce, apparaissent particulièrement bien placés dans la course à la toxicité. Cette fois, seule de la mauvaise volonté peut conduire à ne pas considérer cette triste réalité. A cette mauvaise volonté s’ajoute, dans la perception du danger représenté par l’usage des SDHI, un évident problème de compétence dans votre agence. Le groupe de 4 experts constitué par l’Anses pour examiner notre alerte n’a pas semblé vraiment au fait de la complexité des maladies mitochondriales (du type de celles qui pourraient résulter de l’imprégnation par les SDHI) et a démontré son ignorance des données scientifiques sur le sujet SDHI. Par exemple, il nous a été demandé de montrer l’effet des SDHI sur l’enzyme des mammifères… effet connu et rapporté dans une publication accessible depuis.. 1976 ! Nous avons confirmé cet effet pour les nouveaux SDHI actuellement distribués en France et informé l’Anses de ces données dès notre première audition. En avez-vous tenu compte ? Nullement, tout comme vous avez préféré ignorer une étude soutenue financièrement par l’Anses qui, dès 2012, démontrait la génotoxicité de certains SDHI, indépendamment de toute modification épigénétique. Tous ces éléments scientifiquement fondés et fort alarmants nous ont conduit à demander – et nous réitérons cette demande – que soit appliqué d’urgence le principe de précaution et que soient reconsidérées les autorisations données à l’usage des SDHI. Le respect d’une réglementation totalement obsolète – réglementation à laquelle les firmes s’accrochent et derrière laquelle s’abrite désespérément l’Anses – ne me semble pas avoir grande valeur s’agissant du drame en cours pour la biodiversité et de la menace bien réelle pesant sur la santé humaine.»

 Le 7 novembre 2019, l’étude de l’équipe de P. Rustin est publiée dans la revue PLOS ONE. Résumé : « Les fongicides SDHI sont toxiques pour les cellules humaines

Les  SDHI sont utilisés dans le monde entier pour limiter la prolifération de moisissures sur les plantes et leurs produits. Toutefois, la SDH, également appelée complexe II de la chaîne respiratoire, est un composant universel des mitochondries qui sont présentes dans quasi tous les organismes vivants. La SDH est restée particulièrement conservée au cours de l’évolution, et l’on peut légitimement s’interroger sur la spécificité des SDHI vis-à-vis des seules moisissures. Ici, nous établissons d’abord que la SDH de l’homme, de l’abeille domestique, du ver de terre et des champignons sont toutes sensibles aux huit SDHI testés, avec toutefois des valeurs d’IC50 variables, généralement de l’ordre du micro-molaire. Nous avons ensuite observé que cinq des SDHI, principalement de la dernière génération, inhibent, outre la SDH, l’activité du complexe III de la chaîne respiratoire. Puis, nous montrons que le glucose présent dans les milieux de culture cellulaire masque totalement l’effet délétère des SDHI. En effet, le glucose métabolisé par la glycolyse va fournir suffisamment d’ATP et de pouvoir réducteur (NADPH) pour les enzymes antioxydantes et ainsi permettre la croissance de cellules déficientes en chaîne respiratoire. En revanche, lorsque la glutamine est la principale source de carbone au lieu du glucose, la présence de SDHI entraîne une mort cellulaire dépendante du temps. Ce processus est considérablement accéléré pour des fibroblastes provenant de patients atteints de maladies neurologiques ou neurodégénératives dues à une altération de la chaîne respiratoire (encéphalopathie due à un déficit partiel de SDH) et/ou à une hypersensibilité aux stress oxydatifs (ataxie de Friedreich, forme héréditaire de la maladie d’Alzheimer).»

7 novembre 2019 publication d’un article dans Le Monde : « Les SDHI, ces fongicides qui ne touchent pas que les champignons » Des chercheurs français montrent que ces pesticides pourraient être parfois plus toxiques pour des organismes non cibles que pour les moisissures contre lesquelles ils sont censés agir. Par Stéphane Foucart

08 novembre 2019 Suite à la publication le 7 novembre d’un article dans la revue scientifique PLOS One évoquant la toxicité de fongicides SDHI sur des cellules cultivées in vitro, l’Anses rappelle qu’elle poursuit ses travaux concernant de potentiels effets de ces substances sur la santé en conditions réelles d’exposition, en coopération avec d’autres institutions scientifiques de recherche et d’expertise.

A ce titre, elle a demandé à l’INSERM de prendre en compte les données de cette publication, ainsi que d’autres publications récentes, dans l’expertise collective que l’Institut mène actuellement pour actualiser les connaissances sur les effets des pesticides sur la santé.

18 novembre 2019 Publication d’un « avis relatif au signalement sur de possibles risques liés aux fongicides agissant par inhibition de la succinate déshydrogènase (SDHI) », délibéré le 24 octobre 2019 par la cnDAspe (Commission nationale de déontologie et alerte en santé publique et environnement) :

« La cnDAspe   a reçu un signalement le 11 avril 2019 d’une équipe de chercheurs, indiquant que leurs travaux avaient mis en évidence des dangers non pris en compte par les procédures d’évaluation des risques appliquées dans le cadre de l’autorisation de mise sur le marché des produits phytosanitaires. Ces dangers concernent une famille de fongicides dits SDHI, c’est-à-dire qui agissent par un mécanisme qui inhibe une enzyme intervenant dans la respiration cellulaire, la succinate déshydrogènase. Ces chercheurs mettaient également en cause la réponse jugée insuffisante de l’ANSES lorsqu’ils avaient porté cette découverte à sa connaissance, en 2017. Cette « alerte » a été discutée lors de la session plénière de la cnDAspe du 25 avril 2019.

Conformément à sa mission, la Commission a demandé à l’ANSES, autorité compétente en France pour l’instruction des demandes de mise sur le marché européen des produits phytosanitaires, communication des informations dont l’agence disposait sur le sujet, et un état des différents échanges noués avec l’équipe des chercheurs. Dans sa réponse, qui comportait un relevé détaillé de ces échanges, la Direction de l’ANSES a souhaité être entendue par la Commission. Lors de la session plénière du 20 juin 2019, la Commission a décidé de recevoir les Directeurs délégués de l’ANSES en charge de ce dossier, dans le but de porter une appréciation sur la manière dont le signalement des chercheurs avait été géré par l’autorité compétente. L’échange a eu lieu le 12 septembre 2019, à la suite duquel la cnDAspe a demandé à l’auteur du signalement de lui communiquer tout document scientifique de nature à accréditer l’hypothèse avancée par l’équipe de chercheurs au nom de laquelle il avait engagé la démarche. En réponse, celui-ci lui a communiqué un projet d’article soumis par cette équipe pour publication dans une revue scientifique internationale. Non compétente pour juger sur le fond la validité scientifique de ces travaux, la Commission a adressé ce projet d’article, sous le sceau de la confidentialité, à deux experts toxicologues membres du Comité de la Prévention et de la Précaution (CPP), son comité spécialisé, en leur demandant un avis sur la force de conviction des résultats présentés.

Sur la base de l’ensemble de ces informations, la cnDAspe émet l’avis suivant :

  • Les données scientifiques présentées par l’équipe de chercheurs sur les dangers des fongicides SDHI sont de qualité et posent un doute sérieux sur des dangers qui ne sont pas actuellement pris en compte dans les procédures de toxicologie appliquées selon la réglementation européenne concernant la mise sur le marché des produits phytosanitaires. Des incertitudes substantielles demeurent néanmoins sur les risques qui seraient induits chez l’homme lors de l’exposition à cette famille de fongicides, qui appellent la poursuite des recherches et donc des financements dédiés. Cette situation est constitutive d’une alerte.
  • L’Anses a traité le signalement qui lui a été communiqué par l’équipe de chercheurs de manière réactive et approfondie, notamment en informant les autorités compétentes européennes, américaines et les agences correspondantes dans les Etats-membres de l’Union, et en engageant des financements importants pour améliorer les connaissances sur ces dangers identifiés. La cnDAspe invite l’Anses à poursuivre dans ce sens et lui adresse les éléments d’information recueillis à l’occasion de l’instruction de ce signalement.
  • Les ministres en charge de l’environnement, de la santé, de la recherche, de l’agriculture, des sports, compétents à différents titres sur le sujet, sont saisis de cette alerte.
  • Afin que les autorités politiques puissent disposer d’un cadre solidement argumenté leur permettant, s’ils en décident ainsi lorsque les données scientifiques consolidées seront disponibles, de recourir à des clauses de sauvegarde, la cnDAspe, avec l’appui scientifique du CPP, invitera l’ensemble des acteurs concernés à engager une réflexion pouvant déboucher sur un document méthodologique détaillé comportant les conditions minimales d’ordre scientifique pouvant justifier le recours au principe de précaution, notamment pour les substances et mélanges dangereux en cause dans le présent dossier.
  • La cnDAspe reste attentive aux développements de ce dossier. »

https://www.alerte-sante-environnement-deontologie.fr/IMG/pdf/avis_sdhi_111024.pdf

22 novembre 2019 article Le Monde : « Pesticides SDHI : l’avertissement des chercheurs validé »

La commission nationale des alertes en santé publique estime qu’un « doute sérieux » existe sur ces fongicides. Par Stéphane Foucart

19 décembre 2019 création du site End of SDHI par les scientifiques à l’origine de l’appel concernant les dangers représentés par les SDHIs (paru en Avril 2018 dans le journal Libération), Paule Bénit, PhD (Ingénieure de Recherches IR2 INSERM ; Institut national pour la santé et la recherche médicale) et Pierre Rustin, PhD (Directeur de Recherches CE Emérite au CNRS ; Centre National de la Recherche Scientifique), membres de l’Equipe Physiopathologie et Thérapie des Maladies Mitochondriales, de l’Unité Mixte de Recherches INSERM UMR 1141 (localisée à l’hôpital Robert Debré dans le XIX° arrondissement à Paris), dirigée par Pierre Gressens, directeur de recherche à l’INSERM et professeur de neurologie fœtale et néonatale au King’s College à Londres

http://endsdhi.com/

Le jeudi 9 janvier 2020, une tribune est publiée dans Le Monde « Pesticides SDHI : 450 scientifiques appellent à appliquer le principe de précaution au plus vite ». Des chercheurs de disciplines diverses appellent, dans une tribune au « Monde », à l’arrêt de l’utilisation en milieu ouvert de ces molécules qui bloquent la respiration cellulaire dans l’ensemble du vivant et déplorent un déni des données scientifiques.

Le 21 janvier 2020, trois associations, Générations futures, Nous voulons des coquelicots et France Nature Environnement (FNE) ont adressé, le 21 janvier, un courrier à l’ANSES réclamant l’abrogation des autorisations de mise sur le marché (AMM) de trois pesticides à base de SDHI : le Keynote et l’Aviator Xpro produits par Bayer, et le Librax produit par BASF. En cas de refus, elles indiquent vouloir saisir la juridiction administrative,

Le 23 janvier 2020, une audition est organisée par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques où sont invités Pierre Rustin et Roger Genet, le directeur de l’ANSES.

http://videos.senat.fr/video.1494201_5e2788cf925bd.audition-pleniere—fongicides-sdhi?timecode=655285

Le 25 juin 2020, suite à son avis relatif au signalement qu’elle avait reçu d’un groupe de chercheurs sur de possibles risques liés aux fongicides agissant par inhibition de la succénate déshydrogénase (SDHI) la cnDAspe a installé le 25 juin un groupe de travail (appelé « Formation spécifique » dans son décret de fonctionnement du 26 décembre 2014) de 9 personnalités scientifiques auxquelles elle a demandé d’élaborer un rapport destiné à être proposé aux institutions compétentes (organismes publics d’expertise et établissements de recherche) comme cadre de travail pour l’élaboration de ce document.

Le 6 novembre 2020, un article, publié dans la revue Chemosphere, soulève à nouveau le problème de la nocivité environnementale des fongicides de la famille des SDHI. Les scientifiques montrent que le bixafen, un SDHI fongicide très largement utilisé par les agriculteurs européens, est neurotoxique in vivo et provoque de sévères anomalies du développement du système nerveux central de l’embryon de poisson zèbre et, en particulier, une atrophie du cerveau et une désorganisation des fibres nerveuses de la moelle épinière.

III – AVIS DE L’ALMP (nov 2020)

  • soutien à la demande de l’interdiction au niveau français et européen
  • question sur l’effet cocktail
  • question sur la persistance dans l’eau de boisson et les aliments
  • question de la durée d’exposition aux tests
  • rapport bénéfice/risque : le mécanisme est accepté mais la dangerosité n’est pas quantifiée elle est extrapolée par les pour et contre, en ne prenant pas les mêmes repères

L’AMLP part du principe que chaque produit introduit dans l’environnement peut perturber le fonctionnement du corps humain, donc en application du principe de précaution, nous sommes pour le retrait  dans l’attente d’une quantification bien menée.

5 Décembre 2023, CONTROVERSE À L’ANSES : https://www.anses.fr/fr/content/nouvelles-expertises-sdhi-produits-phytopharmaceutiques
Selon celle-ci, il n’existe pas de « risque inacceptable pour les consommateurs» à  condition  d’ajuster 11 des 39 valeurs toxicologiques de référence (VTR), « en diminuant modérément leur valeur actuelle d’un facteur de réduction allant de 1,5 à 3,3 »
Mais cet avis comporte en annexe la position divergente de deux membres du groupe de travail (sur 15 scientifiques réunis, 3 ont  démissionné, quatre  ont  rédigé huit avis divergents et certaines observations ont été reléguées en simple « annexe »)  Leurs critiques portent sur la manière dont l’expertise a été menée. Ils déplorent notamment que les résultats d’une analyse transversale des effets toxiques des SDHI aient été minorés. « Cette analyse, innovante par rapport à l’évaluation réglementaire substance par substance, visait à expliciter les toxicités d’organes communes ou différentes pour tous les SDHI expertisés ».  En effet, l’analyse a révélé « des atteintes nombreuses et partagées entre les SDHI pour le rein, la perturbation endocrinienne, la neurotoxicité, les maladies oculaires, les atteintes des surrénales, cardiaques, du foie, de la thyroïde ». Selon eux, la minimisation de ces résultats « a pour conséquence de réduire le champ de l’expertise collective et de centrer les résultats sur la question purement réglementaire de l’analyse des VTR », alors qu’il aurait  fallu « avoir une vision élargie de la problématique des SDHI »au lieu d’une simple « caution académique ».