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dossier métabolites

On appelle métabolite  le produit de la dégradation d’une substance initiale en une ou plusieurs molécules secondaires dans un milieu organique ou dans l’environnement. Cette définition s’applique à toute substance initiale, qu’elle appartienne ou pas à un milieu vivant. Ces molécules ayant une structure chimique différente de leur molécule mère, elles peuvent de ce fait, présenter des propriétés physico-chimiques distinctes et donc se comporter très différemment en fonction des milieux comme l’explique l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) qui a la charge d’indiquer quels métabolites sont jugés « pertinents » ou non.
Sont « pertinents » ceux qui présentent « un risque sanitaire inacceptable pour le consommateur »

GÉNÉRALITÉS

Le métabolisme est l’ensemble de réactions et de voies par lesquelles les substances chimiques sont transformées au sein d’un organisme. Il est divisé en deux catégories : le catabolisme qui est une dégradation et l’anabolisme qui permet la synthèse des différents éléments du monde vivant. Y entrent en jeu principalement des enzymes.
Le catabolisme des pesticides ou la détoxication est particulier car il présente en théorie deux phases successives : l’une d’inactivation par des réactions d’oxydo-réduction qui diminuent la toxicité, l’autre de transformation en molécules hydrosolubles éliminables par l’urine. Dans la réalité, la détoxication ne suit pas toujours ce schéma simple.
En dehors des organismes, la dégradation des pesticides est provoquée par l’action d’éléments physiques comme les UV, le froid, la chaleur, l’eau etc.

Nous pourrions prendre comme exemple les excréments qui, quelle que soit l’espèce animale -des coraux aux poissons par exemple sont réutilisés à l’infini via le plancton (chaîne alimentaire) dans un processus de dégradation quasi-totale puis de (re)construction.

L’idéal serait que toute substance chimique suive le même chemin, mais un certain nombre de produits ne connaissent pas de filière catabolique rapide —ou pire, certains, qualifiés de « polluants éternels », par manque de destruction ultime, vont se trouver pour un temps très long, dans la nature au contact de tous les organismes vivants via le contact des plantes, des sols et des nappes phréatiques.

Les pesticides sont absorbés par les végétaux, le sol, une partie est vaporisée dans l’atmosphère où elle peut être dégradée par les UV ou revenir sous forme de dépôts secs ou de pluie et ainsi se dépose sur la végétation (parfois à des dizaines de km) ou dans les sols pour être soit dégradée, soit y persister et/ou migrer jusqu’aux cours d’eau.

Le terme métabolite est généralement, par définition, limité à de petites molécules ; ce sont les produits intermédiaires du métabolisme. Celui-ci va être commun à des espèces très différentes : le cycle de Krebs (suite de réactions chimiques très énergétiques à partir de la dégradation du glucose) par exemple est commun aux simples bactéries et aux grands mammifères.

Une substance active (SA) va naturellement se dégrader (ou pas) et donner naissance à des métabolites intermédiaires jusqu’au produit final.

Tous ces produits ne sont pas forcément neutres et peuvent soit exercer une action directe par eux-mêmes – parfois différente de celles des substances actives initiales, soit agir comme cofacteurs dans de nombreuses réactions chimiques (action enzymatique), mais la chaine de dégradation peut être interrompue lors du blocage d’une étape (par dysfonctionnement enzymatique par exemple)

Et si la pollution par les nitrates est visible à l’œil nu lors d’un excès d’algues, en revanche la mise en évidence de la pollution des eaux de surface par les pesticides (ou plutôt de leurs sous-produits -alias métabolites) n’est retrouvée que grâce à une surveillance régulière au début des années 2000.  Encore faut-il les chercher…

METABOLITES ET MOLECULES-MERES[1]

De manière générale, les herbicides sont des composés molécules dont les premiers 50% -ce qu’on appelle la demi-vie (le temps qu’il faut pour retrouver 50% de la substance initiale, ce qui veut dire qu’il en reste encore au moins 50% au bout de ce temps là) disparaissent rapidement des sols superficiels, souvent en moins de 20 jours (16 jours pour le glyphosate).  Mais les 50 autres % se dégradent plus lentement d’après le modèle exponentiel de dégradation. La durée de dégradation de 90%, dite DT 90, aurait plus d’intérêt pour les études de toxicité animale et humaine ainsi que pour la durée des conséquences environnementales d’un toxique. En fonction de la molécule-mère, la DT 95 serait encore plus pertinente. En effet, ce schéma exponentiel est en fait plus compliqué lorsque celle-ci se dégrade en molécules-filles toxiques, ce qui est la majorité des cas. Par exemple (ecotox d’actualité) : La DT50 des glyphosates mono-ammonium, di-ammonium, mono-potassium, isopropylamine est 16j alors que leurs DT90 est de 296 jours.  (NB le glyphosate pur n’existe pas, ce sont ses sels qui sont formulés et autorisés en 2023).

Pour la famille du métazachlore :  4 à 15 jours pour le 2,4-D et 8 à 15 jours pour son proche parent le mecoprop.
Les azines sont moins rapidement dégradées, avec une demi-vie de 75 à 146 jours pour l’atrazine, 131 jours pour la propazine, 60 à 110 jours pour la simazine et enfin seulement 20 jours pour la bentazone.
Le diuron quant à lui est nettement moins dégradable, avec une demi-vie estimée à 146 jours, tandis que l’isoproturon a une demi-vie plus faible de 24 à 50 jours.

Mais leurs métabolites, formés dans l’environnement, et principalement dans les sols, sont en majorité plus stables que leur molécule mère, comme c’est le cas de l’AMPA, métabolite du glyphosate (demi-vie jusqu’à 121 jours), du métolachlore esa/oxa (demi-vie 70 – 164 jours ; et 50 – 127 jours) et du métazachlore esa (123 jours).
Dans la famille des azines, les métabolites ont une demi-vie plus proche de celle de leurs molécules mères : 120 jours « affichés » pour l’atrazine et pour l’atrazine déséthyl, et 164 jours pour l’hydroxyatrazine.

Et leur « signature » va bien au-delà : l’atrazine interdite en France 2003, demeure aujourd’hui le pesticide le plus retrouvé dans les rivières, ce qui donne une petite idée de la situation réelle.

En outre certains métabolites sont plus toxiques que leur molécules mère, cf exemple de l’imidaclopride[2].

En 2017 . Un document officiel[3]  pose ces questions :

Si le statut des molécules mères est clair au niveau national et leur monitoring réalisé avec des performances analytiques compatibles avec les exigences réglementaires, des questions apparaissent quant au suivi de leurs métabolites :
         # dispose-t-on d’une liste régulièrement actualisée des métabolites de pesticides ?
         # quels métabolites sont susceptibles de migrer vers les eaux souterraines ?
        # quelles sont les valeurs seuils de référence ?
        # quelles sont les capacités analytiques actuelles des laboratoires français?
        # quels développements analytiques pourraient être entrepris pour pallier aux manques identifiés ?

 

PERTINENCE
Sur la base des données communiquées par les Etats membres, la Commission peut établir une base de données des pesticides[4] et de leurs métabolites pertinents en tenant compte de leur présence possible dans les eaux destinées à la consommation humaine (EDCH). [5]

 « Un métabolite de pesticide est jugé pertinent pour les EDCH s’il y a lieu de considérer qu’il possède des propriétés intrinsèques comparables à celles de la substance-mère en ce qui concerne son activité cible pesticide ou qu’il fait peser (par lui-même ou par ses produits de transformation) un risque sanitaire pour les consommateurs. En l’absence d’éléments permettant d’écarter le potentiel d’activité pesticide ou le risque de génotoxicité, le métabolite est caractérisé comme « pertinent »[6]

Pour les eaux brutes utilisées pour la production d’EDCH la norme est de 2 μg/l par substance individuelle, y compris les métabolites la norme est de 5 μg/l au total.
Pour les eaux traitées, les valeurs   sont de 0,1 μg/l par molécule, 0,5 μg/l pour la somme des molécules détectées simultanément. [7]

Cependant, la directive européenne 98/83/CE relative à la qualité des eaux de consommation humaine, ne fournit pas de critères permettant d’identifier la pertinence d’un métabolite.
L’absence de définition précise entraine des stratégies différentes d’un état membre à un autre.
La notion de pertinence dans les EDCH n’est pas définie dans la réglementation française, la position actuelle consiste à considérer que tous les métabolites de pesticides détectés sont pertinents (!)

L’ Agence Nationale de Sécurité sanitaire de l’alimentation de l’Environnement et du travail
(ANSES) a proposé une valeur seuil unique de gestion basée sur la démarche de seuil de préoccupation toxicologique à 0,9 μg/l par molécule associée à un niveau de risque acceptable pour les substances ne présentant pas de génotoxicité.

Si l’on abordait ainsi les médicaments à destination humaine, cela voudrait dire par exemple qu’1 g de paracétamol présenterait potentiellement le même risque qu’1 g de valium !


CONSÉQUENCES POUR LA GESTION DES EAUX PAR LES ARS
(Agence Régionale de Santé)

Il est certain que les ARS et l’ANSES – sont prises dans un étau qui menace tout l’édifice de distribution des eaux de boisson : d’une part la directive européenne devenue loi française (0,1 microgramme et 0,5 microgramme) et d’autre part l’évidence que le « système » ne survivrait pas à une recherche de tous les métabolites.

« Cette limite réglementaire est un indicateur de qualité : lorsque que ce seuil est dépassé, cela veut dire que la qualité de l’eau distribuée au robinet se dégrade. En revanche, la limite de qualité de l’eau ne constitue en aucun cas un seuil de risque pour la santé des consommateurs car elle n’est pas élaborée sur la base de la toxicité des substances.
Quand la limite de qualité de l’eau est dépassée, et quand bien même cette limite n’est pas un indicateur de risque sanitaire, une priorité est de prévenir tout risque pour le consommateur. Pour ce faire, l’ANSES établit à la demande de la DGS des valeurs sanitaires maximales dérogatoires pour garantir la santé du consommateur même en situation de dépassement des limites de qualité. »

Bref, même si les limites de qualité sont dépassées l’eau reste consommable ! Et par exemple à propos de l’ESA-métolachlore (cf infra), les conclusions peuvent être réellement étonnantes !  L’ARS bretonne a ainsi pu écrire[8]  l’eau distribuée sur la commune de Saint-Mayeux était « non-conforme aux limites de qualité et conforme aux références de qualité » (sic). Les « limites » renvoyant ici aux normes européennes tandis que les « références » renvoient à la définition franco-française de ce qui est considéré préjudiciable, ou non, à la santé.

Il existe 3 niveaux de non-conformité
            Situation de non-conformité NCO : Présence d’au moins 1 pesticide supérieur à la limite de qualité avec une durée de dépassement inférieure à 30 jours. Si les teneurs observées sont inférieures à VMax (Valeur sanitaire MAXimale)[9],[10] , la dérogation est « allégée » avec information de la population et doit engendrer un programme renforcé de suivi des pesticides dans l’eau
Situation de non-conformité NC1 : Présence d’au moins 1 pesticide supérieur à la limite de qualité avec une durée de dépassement cumulée supérieure à 30 j sur une année. Si les teneurs observées sont inférieures VMax , l’eau est  « non  conforme  mais n’engendre pas de risque sanitaire ( !!!) ». Il faut une dérogation « complète »[11] et une information de la population.
La durée de dérogation  est de 3 ans  avec  possibilité d’une 2è dérogation « motivée » ; elle impose une surveillance renforcée et un plan d’action pour remédier à cette situation et requiert dans les 2 cas une information de la Commission Européenne.
Situation de non-conformité NC2 : Présence d’au moins 1 pesticide supérieur Vmax (sans notion de durée) Eau non conforme  avec risques sanitaires pour la population. Aucune dérogation ne peut être octroyée. Il faut déterminer l’origine de la contamination, mettre en œuvre des mesures correctives et une mise à disposition de la population d’eau de substitution pour des usages alimentaires.

LES PARADOXES
Si en théorie, l’ANSES prévoit un schéma décisionnel permettant de déterminer la pertinence des métabolites de pesticides pour les EDCH selon les différentes étapes ci-dessous :

  • Examen de l’activité biologique dite activité « pesticide »
  • Examen du potentiel génotoxique
  • Examen des données toxicologiques portant sur la toxicité pour la reproduction et la cancérogenèse du métabolite
  • Examen des données sur le potentiel de perturbation endocrinienne du métabolite
  • Examen de la transformation d’un métabolite en produit dangereux pour la santé humaine dans les filières de traitement EDCH

Il est certain qu’un grand nombre d’autorisations de mise sur le marché sont accordées seulement pour une matière active et non pour ses métabolites.

Il apparait quelques aberrations comme dans l’exemple du désherbant S-metolachlore et l’avis de   ANSES du 30 septembre 2022 qui innocente ses produits de dégradation (ESA-métolachlore).

Cette molécule contamine un très grand nombre d’eaux superficielles et profondes, mais aussi des eaux distribuées, quand au moment même  est révélée dans les médias la présence dans l’eau de nombreuses communes des produits de dégradation d’un autre désherbant : le chloridazone (cf infra).
Alors que vient d’être publiée il y a quelques mois  la classification du metolachlore par l’agence européenne des produits chimiques (ECHA)  comme   cancérigène probable C2 et reprotoxique probable R2, classification qui a toutes les chances d’être reprise dans les semaines à venir par l’agence européenne d’homologation, (EFSA), l’ANSES dit posséder seulement de nouvelles données sur la génotoxicité, sollicitées près du fabricant et qui innocentent la toxicité de cette molécule pour les gènes et aucune donnée sur la reprotoxicité ni sur la perturbation endocrinienne ni sur la cancérogénicité, précise donc « en même temps »  que cette substance a été proposée  comme cancérigène au niveau européen et choisit ce moment pour multiplier la norme par 9 (0,9 versus 0,1µg/l) ! quand la substance mère est classée cancérigène avérée ou probable puisque les normes anciennes qui leur servaient de référence sont caduques ! cf article joint[12]

QUELQUES AUTRES EXEMPLES

« 750 molécules de pesticides ou de dérivés peuvent être rencontrées dans la nature, en moyenne. On n’en recherche en France que 206 »[13]
Dans certains territoires comme l’Aisne, qui est pourtant un département agricole avec des grandes cultures intensives très utilisatrices de pesticides, on peut descendre à douze ! »

L’atrazine[14],[15] (C8H14ClN5) est un herbicide de synthèse de la classe des triazines qui a été utilisé de manière assez importante pour détruire les mauvaises herbes dans la culture du maïs, celle du lin, et pour détruire totalement toute végétation dans les secteurs non cultivés et industriels. Malgré son interdiction décidée en 2001, on retrouve plus de vingt ans plus tard encore certaines de ses molécules, ou de ses métabolites, dans l’EDCH.

Le processus de dégradation dans le sol commence une à deux semaines après l’application. La molécule se transforme et génère une nouvelle molécule sous l’action des micro-organismes.

Sur la seule période allant de janvier 2021 à juillet 2022, des valeurs supérieures à la limite de 0,1 μg/L ont été constatés dans plus de 2 300 prélèvements, réalisés dans 878 communes.[16]
Son adsorption aux particules du sol est faible, ce qui se traduit par un potentiel important de contamination des eaux souterraines et de surface. De plus, ce risque est accentué du fait de sa longue demi-vie dans le sol et dans les eaux souterraines : environ 40 et jusqu’à 200 jours respectivement, (ce qui ne préjuge pas de la quantité active encore présente). Dans les sols, l’atrazine est dégradée par action microbienne aérobie et par hydrolyse, en ses résidus principaux, soit en ordre décroissant le déséthylatrazine ou « DEA ».la déisopropyl-atrazine (DIA), la diaminochloro-atrazine (DACA), ainsi que l’hydroxy-atrazine (HA). Dans l’eau, l’atrazine est hydrolysée et biodégradée en ces mêmes métabolites, mais le résidu DACA est plus important que le DIA.

Ses produits de dégradation sont responsables de la plupart des dépassements des normes de qualité des eaux. Ainsi, le DEA et le DIA sont respectivement responsables de 43,12% et 30,34% des situations de dépassements conduisant à des non-conformités de type NC1 et NC2[17]. Ces résultats font de l’atrazine, le pesticide le plus présent dans les eaux de consommation en France.

La chloridazone : est un pesticide qui a été utilisé principalement dans la culture des betteraves de 1960 jusqu’en décembre 2020. L’autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), chargée de l’évaluation des risques dans le domaine des denrées alimentaires, indique que la chloridazone ne présente aucun potentiel cancérigène ou mutagène pour l’Homme.[18]
Le producteur de la molécule a déclaré ne pas avoir déposé de demande de renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché pour des questions de rentabilité ( !?) La molécule n’est donc plus autorisée à être commercialisée ni à être utilisée depuis 2020.Mais on retrouve encore ses métabolites la chloridazone desphényl et la chloridazone méthyl desphényl dans les EDCH.
En avril 2020, l’ANSES a classé les métabolites de la chloridazone comme pertinents, « par défaut », en raison de faiblesses identifiées dans les protocoles toxicologiques disponibles. L’ANSES indique ainsi qu’il n’est pas possible de conclure sur les potentiels mutagènes ou génotoxiques de ces métabolites.

Cependant en date du 25/11/21 l’ARS a détecté des taux bien plus élevés que la limite fixée par le ministère de la Santé à 3 μg/L dans les communes de Merlieux-et-Fouquerolles (8,35 μg/l),  et celles de Versigny, de Rogécourt et du Thuel dans l’Aisne, ainsi que celle du Mont-l’Evêque dans l’Oise à des niveaux plus élevés que la norme induisant des arrêtés de restriction d’eau.

En outre ces taux de métabolites peuvent varier de façon parfois importante, ils ne sont pas les mêmes suivant le point du réseau où est fait la mesure (entre le début du réseau et le robinet du consommateur).

Le 21/09/2022, le préfet de l’Aisne a annoncé, lors d’une conférence de presse le 14 septembre, que des restrictions d’eau pourraient être mises en place dans certaines communes à partir d’octobre, suite à la présence de métabolites de la chloridazone supérieure à la limite autorisée « valeur sanitaire transitoire », évaluée à 3 µg/L (microgramme par litre). Donc près de 2 ans après sa suppression les EDCH restent contaminées !

L’hydrazide maléique est un herbicide ; ses métabolites[19]  comprennent l’hydrazine, substance considérée comme génotoxique et classée cancérogène de catégorie 1B (supposé) pour l’homme. Sa commercialisation a pourtant été réapprouvée au niveau européen en octobre 2017, pour une durée de quinze ans, à partir des évaluations menées par l’EFSA.
En France, il est utilisé pour le traitement des pommes de terre, des carottes, des oignons et comme désherbant des voies. Et son usage grimpe : 100 tonnes en 2016, contre 49 tonnes en 2009. Des résidus d’hydrazide maléique ont été retrouvés dans plusieurs denrées alimentaires : pommes de terre, oignons, échalotes.
Alors que l’hydrazine est classée génotoxique et cancérogène supposé, l’EFSA considère qu’elle n’est pas génotoxique en dessous d’une certaine concentration (0,028 ppm). Une approche toxicologique battue en brèche par la communauté scientifique pour des substances, réputées agir « sans seuil » c’est-à-dire dès la plus petite exposition. Or, depuis 2009, la directive européenne encadrant la mise sur le marché des pesticides vise   à exclure tout contact humain (direct ou par le biais des denrées alimentaires) avec des produits jugés cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques ou perturbateurs endocriniens

Autres exemples : Parmi les autres pesticides aux effets potentiellement génotoxiques autorisés par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), on retrouve notamment le buprofézine, la mésotrione ou encore le flazasulfuron, tous trois utilisés en France. Le buprofézine[20] a pour métabolite l’Anilin, suspectée d’être cancérogène et mutagène pour l’homme. Le buprofézine ne doit pas être utilisée sur des cultures destinées à l’alimentation humaine et animale. L’ANSES a délivré en octobre 2018 une autorisation de mise sur le marché à une préparation à base de buprofézine pour traiter des plantes vertes et des fleurs (rosiers) uniquement sous abri, mais peut-on être sûrs de cette stricte limitation ?

A l’instar de l’hydrazide maléique, la mésotrione a été réautorisée en octobre 2017 pour quinze ans. En France, on retrouve cet herbicide dans pas moins de 21 préparations commerciales correspondant à sept usages : canne à sucre, maïs, maïs doux, crucifères oléagineuses, sorgho, lin, pavot et colza. Les quantités utilisées, sont stables depuis dix ans, autour de 150 tonnes par an.
Son métabolite l’AMBA   présente des informations confirmatives[21] concernant :1) son profil génotoxique 2) la possibilité que la substance active ait un mode d’action perturbateur sur le système endocrinien 3) une incidence sur les procédés de traitement des eaux à propos de la nature des résidus présents dans les eaux de surface et les eaux souterraines, lorsque ces dernières sont utilisées pour produire de l’eau potable.

QUELQUES QUESTIONS

Le dépistage : Techniquement, les métabolites ne sont pas simples à analyser : le procédé coûte relativement cher et pour les chercher, il faut un étalon (échantillon fiable fourni par le fabricant pour pouvoir comparer) mais très rarement fourni -en infraction avec la réglementation européenne.
Pour le territoire de Gueméné (44), par exemple, le syndicat Atlantic’ Eau a listé 68 métabolites à rechercher en priorité, 11 sont dosables dans seulement 3 laboratoires.

La valeur sanitaire maximale (Vmax) des pesticides est une donnée française : donnée sur laquelle se fondent les autorités sanitaires pour fermer un captage d’eau en cas de dépassement des teneurs en pesticides ou un métabolite de pesticides jusqu’à son retour au-dessous de ce seuil. Mais notons que les Vmax ne peuvent en aucun cas se substituer aux seuils de potabilité et pour calculer celles-ci, de l’ANSES a besoin d’études, et quand elles existent, celles-ci sont parfois si lacunaires qu’aucune Vmax ne peut être établie…[22] « Aucune n’évalue les effets chroniques. » La Vmax calculée pour le principal métabolite du S-métolachlore est ainsi essentiellement fondée sur une étude industrielle confidentielle de 1999, conduite pendant quatre-vingt-dix jours sur des chiens beagles, à raison de quatre animaux par sexe et par dose testée.

Citons comme autre exemple la ville de Chemilly-sur-Serein (Yonne), où « Complément d’enquête » a posé ses caméras[23]. Les prélèvements ont révélé des dépassements en déséthyl-terbuméton, un métabolite[24] de la SA terbuméton, herbicide de la famille des triazines, utilisé en viticulture (arrêt de commercialisation en 1998) et qui n’a pas de Vmax.

En outre on constate en toxicologie les effets inhabituels de certaines substances, capables notamment d’être plus nocives à de faibles doses d’exposition qu’à des doses plus importantes. Un phénomène appelé « relation dose-réponse non monotone ».
En sus, les micropolluants présentent des risques même à très faible dose, sur le long terme et du fait des interactions entre eux (c’est le fameux « effet cocktail »).

LES CONSÉQUENCES

Les Pays-Bas, ont classé 37 métabolites comme pertinents, dont ceux du S-métolachlore (l’origine de la pollution de nombre de points d’eau en France).
Au Danemark, en revanche, aucun métabolite ne peut être considéré comme pertinent ; ce pays considère que cette approche constitue « une violation des niveaux de protection pour les eaux souterraines » mais ce document est avant tout écrit par l’agro-industrie[25].
Industrie qui va exporte des substances interdites en Europe pour des raisons sanitaire au nom de la liberté commerciale ![26] « Le Brésil, l’Ukraine, le Maroc, le Mexique et l’Afrique du Sud figurent parmi les dix principaux importateurs de pesticides interdits « Made in Europe »

PREVENTION ?

Les stations d’épuration ne sont pas des installations destinées à l’élimination des micropolluants.

Atlantic’Eau[27] a validé le 16 septembre des travaux provisoires pour début 2021. Ils permettront la production d’une eau aux normes, en attendant une rénovation plus massive, avec mise en place d’une filtration au charbon actif attendue pour septembre 2023, et qui coûtera, elle, 2,5 millions d’euros.

De manière non exhaustive, les procédés d’élimination par rétention sont la clarification(coagulation-floculation), la filtration sur sable, l’adsorption sur charbon actif en grain ou en poudre et la filtration membranaire. Les procédés d’élimination par dégradation sont l’ozonation, la chloration, la photolyse par le rayonnement UV, et les procédés d’oxydation avancée ; procédé  Fenton[28], oxydation catalytique…Ϳ ;

Il est intéressant de lire la réponse faite au député M Yves Daniell (LREM) en 2019[29]

 Mais en définitive il faudrait décider l’interdiction pure et simple des pesticides sur les périmètres de protection des captages menacés par les métabolites. « Il n’existe pas de méthode plus efficace pour empêcher la présence d’une substance toxique dans les eaux que d’en éviter son déversement »

CONCLUSION

L’ex-directeur général de l’ARS Nouvelle-Aquitaine Michel Laforcade, en retraite depuis 2020, estime que les autorités sanitaires ont « failli » sur la question des pesticides et de leurs produits de dégradation, les métabolites. « Il y a beaucoup d’autocensure dans l’administration, une sorte d’incapacité à regarder la réalité, témoigne-t-il. Un jour, on devra rendre des comptes. Ce ne sera peut-être pas de la même envergure que l’affaire du sang contaminé, mais cela pourrait devenir le prochain scandale de santé publique. »

Les « coûts cachés » des pesticides[30] s’élèveraient de 370 millions à plusieurs milliards d’euros par an pour la France. Les frais attribuables avec certitude aux pesticides, en particulier le surcoût des traitements de potabilisation de l’eau. Ce dernier s’élève à 260 millions d’euros annuels.
En bref, il y a un changement de paradigme : du principe pollueurs-payeurs, nous sommes arrivés à ce que les pollués soient les payeurs…

[1]Thèse doctorat Alexis Grandcoin, université de Rennes21/06/2019 https://drive.google.com/file/d/1rhD97T5cZ_fP2ZGGKEIgqoUmXQdStFT7/view

[2] https://bookstore.ksre.ksu.edu/pubs/MF3070.pdf

[3] https://www.aquaref.fr/system/files/Aquaref_2017_F1a_VF2_complet.pdf)

[4] On appelle ainsi les composés organiques ou de synthèse ; que ce soient les insecticides, les herbicides, les fongicides, les nématocides, les acaricides, les algicides, les rodenticides, les produits antimoisissures, les produits apparentés (notamment les régulateurs de croissance) et leurs métabolites, produits de dégradation et de réaction pertinents ». Ce terme regroupe pour les scientifiques les produits à usage agricole, vétérinaire ou utilisés en médecine pour lutter contre les champignons pathogènes par ex, ou contre les parasites externes (ex : poux)

[5] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32020L2184&from=FR  du 23/12/2020 L435 p38

[6] https://www.anses.fr/fr/content/pesticides-dans-l’eau-du-robinet

[7] https://www.bretagne.ars.sante.fr/system/files/2022-06/presentation_reglementation_metabolites.pdf

[8] https://basta.media/metabolites-pesticides-herbicides-eau-potable-ARS-analyses-metolachlore-filtre-a-charbon

[9] La valeur sanitaire maximale des pesticides est une donnée française : donnée sur laquelle se fondent les autorités sanitaires françaises pour fermer un captage d’eau en cas de dépassement des teneurs en pesticides ou un métabolite de pesticides   jusqu’à son retour au-dessous de ce seuil. Mais notons que les Vmax ne peuvent en aucun cas se substituer aux seuils de potabilité.

[10] Concernant la distribution des eaux destinées à la consommation humaine, la présence d’un pesticide ou un métabolite de pesticide à une concentration supérieure à la Vmax entraîne l’arrêt de sa distribution jusqu’à son retour au-dessous de ce seuil. Mais notons que les Vmax ne peuvent en aucun cas se substituer aux seuils de potabilité.

[11] Demande de dérogation : Lorsque la qualité de l’eau ne respecte pas les limites de qualité réglementaires portant sur des paramètres chimiques et qu’elle ne peut être rétablie à court terme (entendu comme moins de 30 jours), le code de la santé publique (CSP), en ses articles R.1321-31 à R.1321-36, prévoit que la personne responsable de la production ou de la distribution d’eau (PRPDE) dépose auprès du préfet une demande de dérogation aux limites de qualité des eaux destinées à la consommation humaine (EDCH).
Pour la demande de dérogation, il faut  réunir 3 conditions cumulatives
–  l’utilisation de l’eau ne constitue pas un danger potentiel pour la santé des personnes, ce qui doit être interprété comme une situation de risque acceptable pour la population (=> Vmax)                                                                                                            –  le demandeur prouve qu’il ne peut, pour maintenir la distribution de l’eau, utiliser dans l’immédiat aucun autre « moyen raisonnable » (tels que le traitement, le changement de ressource, la mise en œuvre d’interconnexions, l’arrêt d’un pompage, etc.) que ceux déjà mis en œuvre au titre de l’article R.1321-27 du CSP le cas échéant ;
–  Le demandeur a établi un plan d’actions précis et réaliste visant à rétablir la qualité de l’eau Programme renforcé de suivi des pesticides dans l’eau

[12] https://reporterre.net/Pesticides-le-tour-de-passe-passe-pour-rendre-l-eau-potable

[13] https://actu.fr/economie/pollution-de-l-eau-potable-l-ufc-que-choisir-demande-l-interdiction-de-certains-pesticides_41183872.html

[14] https://www.inspq.qc.ca/eau-potable/atrazine

[15] https://www.senat.fr/rap/l02-215-2/l02-215-241.html

[16] https://www.francetvinfo.fr/sante/environnement-et-sante/infographies-ce-que-l-on-sait-des-residus-de-pesticides-dans-l-eau-du-robinet-de-milliers-de-communes-et-des-incertitudes-sur-leur-toxicite_5360212.html

[17] https://blog.kudzuscience.com/2017/11/06/atrazine-un-herbicide-encore-trop-present-dans-leau-de-consommation/

[18] https://www.hauts-de-france.ars.sante.fr/metabolites-de-la-chloridazone-dans-leau-du-robinet-les-reponses-aux-questions-les-plus-frequentes

[19] https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/06/07/des-pesticides-toxiques-autorises-en-europe-un-rapport-pointe-les-carences-de-l-evaluation_6083126_3244.html

[20] La buprofézine a été classée cancérigène possible chez l’humain en raison d’une évidence suggestive de cancérogénicité due à la fréquence combinée des adénomes et des carcinomes du foie chez la souris qui a augmenté de façon statistiquement significative à la dose maximale. Aucun effet n’a été observé sur les paramètres de la reproduction. La buprofézine est faiblement à modérément persistante dans les sols en condition aérobie (demi-vie de 26,3 à 69,6 jours). Elle est modérément persistante dans l’eau en condition aérobie (demi-vie de 47 à 51 jours) et persistante en condition anaérobie (demi-vie de 1 200 jours : la moitié de la quantité initiale est encore présente après 1200 j)

[21]https://aida.ineris.fr/reglementation/reglement-dexecution-ue-ndeg-2017725-240417-renouvelant-lapprobation-substance

[22] https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/09/21/pesticides-20-des-francais-ont-recu-de-l-eau-potable-non-conforme-en-2021_6142608_3244.html

[23] https://www.francetvinfo.fr/sante/environnement-et-sante/infographies-ce-que-l-on-sait-des-residus-de-pesticides-dans-l-eau-du-robinet-de-milliers-de-communes-et-des-incertitudes-sur-leur-toxicite_5360212.html

[24] https://www.anses.fr/fr/system/files/EAUX2018SA0134-b.pdf

[25] https://www.generations-futures.fr/wp-content/uploads/2018/02/homologation_industrie_ecrit_ses_regles_050218_finale.pdf

[26] https://fr.euronews.com/2022/10/20/lue-pourra-continuer-dexporter-des-pesticides-toxiques-a-letranger

[27] https://www.atlantic-eau.fr

[28] Le procédé electro-Fenton est un procédé d’oxydation avancée permettant la production de radicaux hydroxyles (·OH). qui permettent d’oxyder et d’éliminer efficacement les polluants organiques.

[29] https://questions.assemblee-nationale.fr/questions/detail/15/QE/19028

[30] https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/11/23/les-couts-caches-des-pesticides-s-eleveraient-de-370-millions-a-plusieurs-milliards-d-euros-par-an-pour-la-france_6151303_3244.html