AU FIL DES JOURS

Plan Ecophyto le gouvernement a fait le choix d’abandonner l’objectif d’une réduction de l’usage des pesticides et d’un changement des pratiques agricoles

Résumé : le gouvernement a fait le choix d’un indice trompeur, le HRI1, qui par le jeu d’un artifice de calcul appliqué à des substances retirées au niveau européen, rend l’objectif d’une baisse de 50%  facilement atteignable, sans rien changer aux pratiques agricoles. L’Etat a donc renoncé à une baisse de l’usage des pesticides et au changement des pratiques agricoles. Alors que la contamination des milieux est généralisée (eaux, air et sols), que les pesticides représentent la principale cause d’effondrement de la biodiversité sous nos latitudes et qu’il existe un problème de santé publique 

On pourrait dire que le plan Ecophyto est à l’arrêt depuis 15 ans, puisqu’il n’a guère produit de résultats tangibles en matière de réduction de l’usage des pesticides. Il  avait cependant  un mérite : il posait un cadre reconnaissant la  dépendance de notre agriculture à ces produits, et la nécessité d’en diminuer l’usage.

Pourquoi  diminuer l’usage des pesticides ? avant tout parce qu’il s’agit d’un problème de santé publique. Les agriculteurs en sont et en resteront les principales victimes selon la dernière expertise Inserm – cancers, maladies neuro-dégénératives comme la maladie de Parkinson et les troubles cognitifs, maladies respiratoires pour nous en tenir aux pathologies dont le niveau de preuve est le plus fort, mais 19 pathologies en lien avec l’usage des pesticides -, mais aussi maladies touchant leurs enfants – leucémies, tumeurs cérébrales, malformations congénitales après exposition lors de la grossesse –  . Cette expertise de l’Inserm , Pesticides et santé (2021)montre que la population générale et riveraine de zones d’agriculture intensive n’est pas épargnée. Pour celle-ci les données sont plus récentes donc moins fournies, mais permettent d’établir des liens avec certains cancers (en particulier en région viticole, mais aussi lors d’un simple usage domestique de certains insecticides), avec des maladies neuro-dégénératives et chez l’enfant avec les troubles du neuro-développement.

Mais aussi parce que les pesticides représentent la principale cause d’effondrement de la biodiversité sous nos latitudes. C’est une autre expertise, d’un autre organisme public, qui le montre : celle de l’Inrae en 2022. Tous les niveaux d’organisation biologique sont impactés par les pesticides (des champignons aux oiseaux en passant par les insectes, les amphibiens, les poissons et jusqu’aux mammifères). Il y a un an Le Monde titrait en une, faisant allusion à une étude européenne : « l’agriculture intensive  décime les oiseaux »

Comment mesurer l’usage des pesticides ?

Par les quantités de substances actives vendues : elles sont passées de 26000 t en 2011 à 39 000 en 2021 (après un passage à 50 000 en 2018). Mais certaines substances sont actives au gr/ha alors que d’autres le sont au kg.

Par le NODU :  en divisant les quantités utilisées par la posologie maximale à l’ha (appelée dose unité) il correspond au cumul théorique des surfaces qui seraient traitées par ces doses de référence. Et permet ainsi de prendre en compte des substances actives à des doses très différentes.

Par le nouvel indicateur HRI1 : le calcul du HRI1 est simple. On classe d’abord les pesticides en quatre catégories : 1 à faible risque, très rares ; 2 substances autorisées non classés CMR ni Perturbateurs Endocriniens ; 3 les substances classées CMR ou PE ; et 4 les substances interdites. Puis on applique un facteur « de dangerosité » à chacune de ces catégories : 1, 8, 16 et 64. Multiplié par le tonnage on obtient le HRI1. Pour ce dernier facteur de 64, si une substance est interdite en 2023, il sera appliqué à son tonnage de l’année précédente.  Prenons l’exemple du Mancozebe, seconde substance la plus vendue en tonnes. Ce fongicide fut interdit en 2022, remplacé par des fongicides des groupes 2 ou 3 (l’essentiel des substances sont en France classées dans ces 2 groupes) : son tonnage de 2021 n’est plus multiplié par 16 mais par 64 pour le calcul du HRI1 permettant d’enregistrer une baisse considérable permettant d’atteindre les 43% de baisse – on  est presque aux 50% – alors qu’il aura été remplacé par d’autres fongicides, et que rien n’aura changé dans la ferme France!

Les différents plans Ecophyto avaient un double objectif : mesurer l’évolution de l’usage des pesticides et favoriser des changements de pratique. On peut affirmer aujourd’hui que l’Etat y a renoncé. Pourquoi ?

Derrière  un choix technique, celui de remplacer l’indicateur utilisé depuis 2008 pour évaluer la consommation de pesticides,  le NODU, par un autre, le HRI1 (indicateur de risque harmonisé), se cache un tour de passe-passe : il va permettre à la France d’atteindre l’objectif d’une baisse de 50% sans effort. Le conseil scientifique du plan Ecophyto a montré qu’appliqué sur la période de 2011-2013 à 2021, le HRI montre une baisse de 32.9%, alors que le NODU est stable sur la même période et que la quantité de substances actives vendues fut en hausse   (de 26 000 t en 2011 à 39 000 en 2021).

Mais  permet-il, comme l’affirme le gouvernement de prendre en compte les substances les plus dangereuses ?

D’une part le NODU CMR les prenait déjà en compte (c’était même le seul qui baissait, du fait de l’application de la réglementation européenne)

D’autre part il est indispensable de connaitre les quantités globales de substances actives utilisées : se focaliser par ex sur la baisse des CMR 2 serait risqué car les classements des substances évoluent dans le temps. De plus la dangerosité ne se limite pas aux effets cancérigènes : les maladies neuro-dégénératives (ex Parkinson) sont au premier plan chez les agriculteurs, et les substances neurotoxiques n’ont pas de coefficient de danger particulier.

Le  NODU avait un intérêt   majeur,  c’est qu’il permettait de prendre en compte l’évolution des doses à l’hectare. Certaines substances sont actives au gramme (Cyperméthrine 30 g/ha), d’autres au kg (Glyphosate, 2.5 kg/ha) voire plus (soufre 7.5 kg/ha). Et passer d’une substance active au kg/ha à une autre active à 500 gr à l’ha – ce qui n’est pas du tout un gage de non dangerosité – fera baisser le HRI1 mais pas le NODU. Certains chercheurs ont pointé l’intérêt des industriels qui, voyant les brevets des vieilles molécules utilisant des doses plus élevées à l’ha arriver à échéance, ont intérêt à mettre sur le marché des molécules actives à plus faible dose, permettant aux politiques d’atteindre les objectifs avec une baisse de l’indicateur .

Enfin si le gouvernement se soucie autant qu’il le prétend des substances les plus dangereuses pourquoi reprend-il à son compte le slogan de la FNSEA  « pas d’interdiction sans solutions ». Qu’est ce que cela signifie ? Qu’une substance interdite, mais dont le ministère de l’agriculture jugera qu’elle joue un rôle irremplaçable,  pourra continuer à être utilisée sur certaines cultures. Avec tous les risques qui vont avec : sur les écosystèmes ou sur les agriculteurs. Une quarantaine de dérogations ont déjà été prises depuis le début de l’année.)